C’est un rendez-vous obligé : l’heure est venue, pour l’équipe de rédaction de Il était une fois le cinéma, d’établir sa liste des meilleurs films des douze derniers mois. Exercice régulier et rassurant comme un rituel, évidemment subjectif, partiel, discutable, mais précieux pour se fixer des points de repères collectifs – ne serait-ce que sur le mode du questionnement face à la contingence d’un tel exercice. Pour rappel, en 2022 c’est La nuit du 12 de Dominik Moll qui avait été retenu par notre rédaction comme le long métrage de l’année.
A l’issue de la pandémie, 2022 marquait un retour progressif à la normale (rythme plus soutenu des sorties, fréquentation des salles repartie à la hausse, meilleur équilibrage entre grand écran et plateformes de streaming). Cet objectif de normalité – suivant des paradigmes et des attentes certes différents d’avant Covid – a été assurément atteint en 2023. Cette année de cinéma a même dépassé nos espérances : par l’abondance et la qualité de la programmation des salles obscures, elle aura été aussi marquante que certaines de la décennie précédente – dont, pour mémoire, vous retrouverez notre palmarès ici.
L’éclectisme de la proposition cinématographique 2023 se retrouve dans nos listes plus bas. Les lignes de force des films notables de l’année sont multiples, épousent volontiers les grandes questions sociétales, plongent souvent dans le passé afin de mieux éclairer notre présent, et par leur profondeur narrative et leur accomplissement formel, savent dépasser l’unidimensionnalité des approches idéologiques ou militantes – toutes respectables voire nécessaires ces dernières puissent-elles paraître par ailleurs.
Une question taraude forcément : que restera-t-il, dans la durée, de cette année 2023 ? Car rappelons-le, seule cette inscription dans le temps a pour nous un sens – l’ADN de notre webzine nous enjoignant à articuler passé, présent et futur dans une dynamique constante d’explorations, de débats et d’exigence critique. A cette question clef le manque de recul rend notre réponse inévitablement fragmentaire et hypothétique. Du moins, à défaut d’absolu consensus, celle-ci a-t-elle le mérite d’une certaine clarté.
Mettons fin ici au suspense (très relatif). C’est le film autobiographique de Steven Spielberg, The Fabelmans, qui a remporté le plus de suffrages. Un chef d’œuvre ? En tout cas un long métrage très attachant, profond sous sa légèreté, et nimbé de mélancolie sous son ludisme. Une lumière mozartienne l’éclaire de bout en bout (est-ce un effet de la musique de Clémenti ?). On n’est pas prêt d’oublier sa coda, avec John Ford alias David Lynch en guest star, dispensant ses conseils au jeune cinéaste en herbe. Certes, on le savait déjà, et il s’en amusait lui-même face aux journalistes il y a plus de quarante ans déjà, Spielberg n’est pas Bergman (Fanny et Alexandre)… mais il est lui-même et c’est déjà remarquable – assez pour en faire un auteur majeur de ces cinquante dernières années, d’abord au regard de son impact sur l’industrie mais aussi grâce à l’imaginaire collectif qu’il a su créer et à sa cinéphilie fervente, n’ayant de cesse de faire dialoguer les époques (la nostalgie, voire le ressassement, l’ont emporté ces dernières années… mais sourdaient dès les débuts de l’œuvre spielbergienne).
En deuxième position de notre trio de tête : l’incontournable Anatomie d’une chute (Justine Triet), film de procès saisissant, et vertigineux portrait d’un couple et d’un enfant, qu’on n’est pas prêts d’oublier non plus. Plus surprenant mais non moins mérité, ce sont les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan qui complètent notre podium : un film ambigu, néo-bergmanien, puisant dans l’intimisme le plus troublant pour nous réfracter des vertiges où c’est peut-être notre civilisation entière, son système de valeurs, ses croyances et convictions les plus profondes, qui sont mis en abyme et en question.
Un mot en aparté sur un des succès publics majeurs de l’année : Oppenheimer (Christopher Nolan), grand absent de notre palmarès et de la plupart de nos tops individuels. Ce film exigeant, dont le triomphe populaire était inattendu à cette échelle, nous semble par ses paradoxes emblématique de notre temps : scènes brèves et tranchantes insérées dans un format très long, dramaturgie superficielle sur le plan psychologique mais percutante en termes de spectacle, architecture scénaristique brillante toute en boucles narratives et en montages alternés, ampleur musicale et tectonique où miroitent les inquiétudes apocalyptiques les plus contemporaines. Le dernier-né de Nolan méritait au moins une mention ici, malgré les réserves voire les rejets dont il a pu faire l’objet – en cause : la relégation hors-champ des victimes de la bombe, et plus largement la désincarnation voire l’inhumanité dont le réalisateur le plus plébiscité de notre époque serait coupable. Ne manquez pas notre retour sur Oppenheimer à l’occasion de sa sortie en Blu-ray.
Ci-dessous, notre palmarès complet des 14 films (et non pas 10, égalités obligent) qui ont été retenus par notre équipe de rédaction – du moins par ceux ayant eu le temps de voir suffisamment de films en salles et d’établir ce top… ce qui comme chaque année n’a pas pu être le cas de tous. Plus bas : le détail des tops individuels.
Encore un grand merci à tous les rédacteurs pour leur engagement et à tous nos lecteurs pour leur fidélité. Nous vous disons à très bientôt en 2024 !
Nos meilleurs films de l’année 2023 :
1) The Fabelmans, de Steven Spielberg
2) Anatomie d’une chute, de Justine Triet
3) Les herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan
4) L’Enlèvement, de Marco Bellochio
4) (ex-aequo) Les feuilles mortes, de Aki Kaurismäki
6) Babylon, de Damien Chazelle
6) (ex-aequo) Tár, de Todd Field
6) (ex-aequo) La femme de Tchaïkovsky, de Kirill Serebrennikov
6) (ex-aequo) Au cimetière de la pellicule, de Thierno Souleymane Diallo
10) Killers of the flower moon, de Martin Scorsese
10) (ex-aequo) Mad God, de Phil Tippett
10) (ex-aequo) Le Livre des solutions, de Michel Gondry
10) (ex-aequo) Le garçon et le héron, de Hayao Miyazaki
10) (ex-aequo) Il Boemo, de Petr Vaclav
Tops individuels :
Alexis Leroy
1) Il Boemo. Une ode à la musique, à la création, et une tragédie sur la vanité de la gloire. Sujet, bande sonore, photographie apportent une intensité à cette biographie d’un compositeur méconnu du siècle des Lumières.
2) Au Cimetière de la pellicule. Un film sur la quête d’une œuvre et d’un cinéma perdu, filmée par un Don Quichotte qui trouve la force de nous restituer sa recherche avec humour et subtilité. Une belle odyssée.
3) House. L’une des découvertes made in Japan sur notre sol. Un film-OVNI d’un poète, un conte terrible, un univers coloré.
4) Onibaba/Kuroneko. Un diptyque enfin distribué en France, Des histoires du Japon médiéval pleines de bruit et de fureur. Splendides hommages au nô et au kabuki.
5) Les Feuilles mortes. Cannes a une fois encore raté son rendez-vous avec Kaurismaki. Une comédie dramatique, sociale, et romantique, avec l’espoir au bout du chemin.
6) Fermer les yeux. Un retour émouvant, et réussi de Victor Erice, avec les thèmes de la mémoire et de l’identité. Merveilleux moment de cinéma.
7) Showing up. Un Kelly Reichardt subtil, où l’animal devient l’emblème de l’empathie, de la création, et de l’humanité dans son désordre.
8) Ghost Night. Le cinéma italien en résurrection, avec ce voyage au bout de la nuit entre un policier tragique et un jeune immigré dans une ville aux lumières et à la population bigarrée. Nous pensons à Dino Risi.
9) Fremont. Un message d’amour, un délice tendre, comme les chinese cookies à l’intérieur desquels la protagoniste insère des mots emplis de subtilité.
10) Le Garçon et le héron. Miyazaki, un des derniers poètes, avec un film-somme, une aventure, une rêverie, peuplée de créatures fascinantes. Beauté et violence.
Antoine Benderitter
(sans ordre particulier)
Babylon : ou comment la petite et la grande histoire du cinéma se présentent à la fois comme objet de désir et sujet de méditation. Tout ce que ce film irrigue d’outrancier et vulgaire, ou bien de lugubre et crépusculaire, est transcendé par la catharsis plastique et musicale dont nous gratifient avec une générosité inouïe Damien Chazelle et Justin Hurwitz.
Oppenheimer : Nolan dans le cœur de réacteur du cinéma contemporain ? En tout cas, un film passionnant, à l’image de son réalisateur : ambitieux, paradoxal, un peu déphasé – et toujours admirablement fidèle à sa singularité. Une œuvre portée par son extrême musicalité (Ludwig Göransson), telle une symphonie de musique contemporaine destinée au grand public.
The Fabelmans : Spielberg n’est ni Fellini, ni Bergman… mais peu importe. Le début et la fin de The Fabelmans sont formidables, le film dans son ensemble est lumineux et mélancolique, les échos de sa petite musique se prolongent bien au-delà de la fin de la séance.
Anatomie d’une chute : moins un film de procès (méticuleux et haletant) qu’un film sur un couple en décomposition et sur leur enfant : l’occasion de scènes ambiguës, vertigineuses, où la justesse de jeu d’acteurs se marie merveilleusement à une mise en scène organique et précise
Le Ciel rouge : un film frais, imprévisible, faussement rohmérien, mettant en scène avec justesse un décalage douloureux, humiliant et en apparence sans fin d’un individu avec ceux qui l’entourent – jusqu’à la réconciliation lente et à bas bruit avec le monde, les autres, soi-même
Beau is afraid : une réussite esthétique et peut-être le meilleur film de Ari Aster, même si ses longues et complaisantes métaphores sont assénées de manière peu distanciée (davantage d’humour aurait-il aidé ?). Mais c’est aussi cette approche brute, sans concessions, qui faisait la singularité et la force de Hérédité ou Midsommar.
Tár : moins un film sur le monde de la musique que sur la grandeur et la chute d’une artiste – fascinante, admirable et méprisable tout à la fois. Il y a quelque chose de kubrickien dans la froideur élégante, les ellipses et les mystérieuses géométries de Tár. Peut-être un des meilleurs films sur le « wokisme » et ses ambiguïtés – sur l’ambiguïté aussi de certains de ses contempteurs.
Les Herbes sèches : à la fois simple et mystérieux, sensoriel et métaphysique, un excellent Nuri Bilge Ceylan. Parmi les moments les plus mémorables : l’extraordinaire scène du dîner (et l’envolée méta qui suit), digne d’Ingmar Bergman
La Femme de Tchaïkovsky : à défaut d’un film aussi puissant que La fièvre de Petrov, Serebrennikov livre une fresque intimiste captivante et hallucinatoire – où il est, en fin de compte, bien peu question de musique mais beaucoup d’onirisme, de sensualité… et aussi, souterrainement, de politique
L’Enlèvement : porté par un élan ouvertement opératique et un lyrisme à la fois réfréné et dévastateur, un grand film, comme issu d’une autre époque ; mais tout de même, chose étrange, à l’aise dans la nôtre. Plus que le Scorsese cru 2023 (Killers of the flower moon), l’incarnation d’un classicisme dans son sens le plus noble
Grégoire Chéhère
1) Le Gang des Bois du Temple, Rabah Ameur-Zaïmeche. En détournant les codes du banlieue-film pour une approche qui assume sa marginalité, politique, esthétique et narrative, Rabah Ameur-Zaïmèche nous livre son film le plus mélancolique et le plus désespéré.
2) La Montagne, Thomas Salvador. Un ingénieur quitte son travail pour se consacrer à l’alpinisme dans les Alpes. De l’habituel récit psychologisant sur celui qui décide de tout plaquer, Salvador retire tous le gras pour ne garder qu’une calme et sensuelle exploration des hauts sommets.
3) Désordres, Cyril Schäublin. La tranquillité de la montagne suisse, tour à tour théâtre de la subtile violence des rapports managériales du fordisme naissant et zone où l’on peut encore rêver à s’émanciper, en se laissant effacer par la douce respiration anarchiste de la forêt.
4) L’Été dernier, Catherine Breillat. Dans cette histoire incestueuse, filmée sans éclat provocateur, le belle-mère jouée par une extraordinaire Léa Drucker n’est pas de nature monstrueuse. Sa monstruosité lui tombe dessus par hasard, comme déposée par une brise d’été.
5) The Fabelmans, Steven Spielberg. Faux film sur le cinéma, dont la description de la fabrication est réduite à un pur idéalisme, The Fabelmans est bien plus un grand film de fantômes sur la cellule familiale.
6) Anatomie d’une chute, Justine Triet. Passionnant film de procès où, malgré chaque spectaculaire prise de parole visant à mettre la lumière sur une partie de la vérité, le réel demeure indéchiffrable.
7) De nos jours…, Hong Sang-Soo. Dans son film le plus désabusé sur la question de l’alcool, Hong Sang-soo et sa radicalisation esthétique – films de plus en plus épurés, plans très longs, à la photographie dont l’amateurisme révèle de passionnantes recherches picturales – nous donne à voir la mort à l’oeuvre sur le visage d’un vieil homme, incapable de se défaire de ses addictions.
8) Wahou !, Bruno Podalydès. S’il joue dans le film un agent immobilier, c’est plutôt en architecte d’intérieur que le Podalydès-cinéaste se transforme. Deux décors abordés par le cadre de multiples manières différentes, et autant d’explorations comiques de l’espace.
9) The Survival of Kindness, Rolf de Heer. Pure abstraction cauchemardesque, The Survival of Kindness et son univers raciste et totalitaire jouit pourtant d’une grande force d’incarnation, à travers les paysages australiens et la poignée de visages mutiques qui les traversent.
10) Venez voir, Jonas Trueba. Très modeste film post-covid, ponctué de longues discussions, et touché par un grand moment de grâce : la simplicité de ses composantes matérielles s’y radicalise, pour un étrange moment de sensorialité image-son.
Hugo Dervisoglou
1) Fairytail
2) Conann
3) Anatomie d’une chute
4) Les herbes sèches
5) Babylon
6) L’enlèvement
7) The Fablemans
8) Dalva
9) Yannick
10) Les feuilles mortes
Jean-Jacques Manzanera
1) Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan (Turquie). Le grand oublié de Cannes selon moi et peut-être LE film pour lequel ce maître aurait dû recevoir sa seconde palme tant il parvient ici à être à la fois le cinéaste que nous connaissons et à proposer des variations neuves. Ceylan a réussi à atteindre l’évidence narrative et plastique des plus grands, parvenant à transcender le clivage Anciens/Modernes. Il est grand en tous points de l’écriture au montage en passant par la direction d’acteurs ou la photographie. L’un des moments de cinéma les plus stupéfiants de l’année aux ¾ du film… un pari osé qui n’a rien d’un gimmick mais semble au contraire la clé du film.
2) Mad God de Phil Tippet (USA). Un objet unique en son genre qui me semble couronner une carrière de concepteur de SFX de la plus belles des manières : en accouchant d’un univers entier mûrement créé et déployé. Une expérience qui ressemble certainement à celle que vécurent les premiers spectateurs d’Eraserhead : un sentiment de sidération face à tant d’énigmes et de visions.
3) Les feuilles mortes d’Aki Kaurismaki (Finlande). Le grand retour de Kaurismaki avec une manière d’épure pour l’un de ses plus beaux films. Tout Kaurismaki y est et on ne saurait être surpris en soi mais on peut néanmoins penser qu’il a rarement atteint à ce point une forme de perfection de son art. A l’heure où les films n’en finissent plus , il est rassurant de se dire qu’en moins de 80 mn on a vécu avec des personnages aussi forts et touchants le moment-clé de leur vie : la grâce d’un amour inespéré et salvateur.
4) The Fabelmans de Steven Spielberg (USA). Quelle jubilation contagieuse dans ce retour aux sources où on voit sur grand écran tout ce que nous avions entendu ici ou là sur les débuts du jeune S Spielberg.Un film intimiste inattendu chez celui qui arrivait toujours à rendre spectaculairement cinématographiques tous ses sujets. Des moments poignants, d’autres plus ludiques et au bout cette idée que le cinéma peut devenir l’affaire d’une vie.
5) L’enlèvement de Marco Bellochio (Italie). Les vieux maîtres ont la côte chp I. Un fait divers terrifiant qui est porté à son point d’incandescence par un cinéaste arrivé au sommet de son art avec un art proche de l’opéra et donc de Visconti. Bellochio n’a rien perdu de son acuité quand il s’agit d’analyser les points aveugles de l’Histoire italienne.il est incompréhensible qu’un tel film n’ait rien reçu à Cannes.
6) Babylon de Damien Chazelle (USA). Ce film incarne la joie de filmer de manière évidente. Des séquences absolument géniales, d’autres qui nécessitent un second visionnage afin d’être mieux appréhendées pour emporter le morceau mais une énergie fabuleuse qui est le plus beau des hommages au 7ème art. On n’oubliera pas de sitôt cette lettre d’amour au cinéma qui partage avec Fellini et Kusturica une vision authentiquement baroque.
7) Le garçon et le héron de Hayao Miyazaki (Japon). Les vieux maîtres ont la côte chp II. Attendu comme le Messie et plus gros succès du sensei dans l’Hexagone et pourtant que d’incompréhension voire de déception. Un film superbe qui nécessite d’être vu, revu et compris comme un testament sincère et parfois dénué des émotions usuelles de ses plus grands films mais un film à combustion lente qui comporte parmi les séquences les plus authentiquement visionnaires de ces dernières années.
8) Killers of the flower moon de Martin Scorsese (USA). Les vieux maîtres ont la côte chp III. Un beau film âpre qui comme le Miyazaki ne va pas où on attendait Scorsese. Rien à voir avec Casino ou Gangs of NY malgré le sujet potentiellement bigger than life. Un sujet passionnant, une fresque qui joue paradoxalement la carte de l’intimisme et qui semble atténuer la tentation de la virtuosité graphique pour épouser un classicisme qui relie Scorsese à ses maîtres hollywoodiens.
9) La femme de Tchaikovski de Kirill Serebrenniko (Russie). Un film des années 2020 qui renoue avec la folie des années 70 quand les cinémas de l’Est nous offraient généreusement leur fièvre et leurs tourments. Un film fort sur un destin de femme qui a l’intelligence de ne pas être porté par l’air du temps. Des moments absolument brillants et un duo d’acteurs impressionnants. Un cinéaste formidable qui est aussi un grand metteur en scène de théâtre, cela est assez rare pour être salué.
10) Tar de Todd Field. Totalement inattendu ce film énigmatique qui capte les maux de notre temps sur fond de suspense paranoiaque polanskien et de réflexion sur la musique et l’art. Le sujet essentiel c’est la vindicte médiatique qui enfle comme un piège autour de ses victimes. Kate Blanchett est exceptionnelle tout comme le travail sur le matériau sonore du film.Todd Field a entendu les leçons de Kubrick et il demeure la découverte de l’année parmi les cinéastes même si j’avais bien aimé Little children. Il peut encore surprendre !
Jean-Max Méjean
(sans ordre particulier)
Perfect days de Wim Wenders ou comment faire un chef d’oeuvre zen d’une commande de la municipalité de Tokyo. Un film inspiré, pur et cosmique.
Sept hivers à Teheran de Steffi Niederzoll. Un documentaire indispensable et très émouvant pour les droits de l’Homme et l’abolition de la peine de mort en Iran.
L’odeur du vent de Hadi Mohaghegh. Une panne d’électricité provoque une rencontre entre deux hommes solitaires et isolés du fin fond de l’Iran. Chef d’oeuvre absolu.
Le cours de la vie de Frédéric Sojcher. Une master-class passionnante qui devient aussi un cours sur la vie, les amours et l’essence même du cinéma.
Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese. Encore un coup de maître du maître absolu du cinéma, mêlant mélo, lutte de classes et exploitation des autochtones dans un même film incandescent et magistral.
Le livre des solutions de Michel Gondry. Le Huit et demi de Michel Gondry qui nous livre ici un film burlesque et profond sur la manière de faire du cinéma, tout en dévoilant son petit monde mécanique et enfantin.
Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. D’une grande mélancolie, le film parle encore une fois de la solitude, de l’oppression et de l’hiver qui s’installent lentement sur une région reculée de Turquie
Pierre, feuille, pistolet de Maciek Hamela. Façon tendre et délicate de parler de la guerre et d’en montrer les ravages sur des familles ukrainiennes obligées de fuir les combats.
Une femme sur le toit d’Anna Jadowska. Constat tendre et désenchanté de la condition féminine en Pologne.
Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo. Belle métaphore sur le cinéma, sa mémoire et sa diffusion à la manière de Godard.
How to save a dead friend de Marusya Syroechkovskaïa. Portrait mélancolique et réaliste de la Russie actuelle, à travers le portrait d’une certaine jeunesse désespérée et candide.
Jean-Michel Pignol
1) L’enlèvement (Marco Bellocchio)/ et sa série télé Esterno Notte. Deux drames opératiques, solaires et crépusculaires. Âgé de plus de quatre-vingt ans, le réalisateur italien au sommet de son art.
2) Les herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan). Le metteur en scène Turque poursuit son auscultation fine et sans compromis des replis d’une société.
3) Trenque Lauquen (Laura Citarella) : Au bonheur de se perdre dans ce fascinant labyrinthe espace-temps.
4) Les feuilles mortes (Aki Kaurismäki). Un petit bijou d’humour et de tendresse
5) Tar (Todd Field). Froid, hypnotique, inquiétant.
6) La femme de Tchaïkovski (Kirill Serebrennikov). Magistral, fiévreux, d’une maîtrise technique éblouissante.
7) The Fabelmans (Steven Spielberg). Spielberg retrouve en grande partie la puissance émotionnelle de son univers cinématographique.
8) Il boemo (Petr Vaclav). Une découverte à plus d’un titre.
9) Anatomie d’une chute (Justine Triet). Pas une Palme d’or, mais une mise en scène qui mérite d’être récompensée.
10) Lost Country (Vladimir Perišić). Tout en faisant preuve d’une grande sensibilité, le deuxième film de Vladimir Perišić dissèque avec acuité les mécanismes de la violence politique.
Mathieu Victor-Pujebet
1) La Passion de Dodin Bouffant. Pour sa radicale épure et sa discrète subversion : un festin de sens, de mouvements et d’émotions.
2) Le Règne animal. Pour son ampleur, sa puissance esthétique et sa fascinante sensibilité.
3) L’Île rouge. Pour l’acuité de son regard, sa créativité envoutante et son étonnante violence souterraine.
4) Une nuit. Pour la pureté et la puissance d’évocation infinie de son dispositif (puis les comédiens, gigantesques).
5) Mad God. Pour sa folie plastique, mais aussi sa surpuissance d’évocation et son émotion diffuse.
6) Spider-Man : Across the Spider-Verse. Pour sa gourmandise totale et partageuse, mais aussi ses ahurissants accomplissements techniques,esthétiques et narratifs.
7) Le Livre des solutions. Pour la folie douce de son écriture, la qualité de ses interprètes et la magnifique humilité de son autoportrait.
8) The Fabelmans. Pour la puissance, la finesse et l’ambiguïté de son questionnement sur l’image et sa fabrication (sans parler de la perfection formelle du film).
9) Anatomie d’une chute. Pour son génie d’écriture, son intelligence formelle et l’ahurissante prestation de ses comédiens.
10) Les Filles d’Olfa. Pour la beauté, la finesse et la surpuissance de son dispositif
Matthias Turcaud
Au Cimetière de la pellicule : un magnifique cri du cœur et d’alarme en même temps, une ode magnifique au cinéma, et un message pour les autorités guinéennes aussi, afin que le patrimoine guinéen soit enfin conservé dans de bonnes conditions. On espère que le message sera entendu !
Chien de la casse : Un film singulier et attachant, difficile à caractériser avec un seul adjectif. Rarement la vie dans un village aura été si bien montrée au cinéma – entre oisiveté prolongée, amitié par la force des choses, parties de Fifa et discussions sur la meilleure manière d’élaborer des pâtes Carbonaras. Enfin, pour caractériser la prestation de Raphaël Quenard, je manque également de mots. L’éclosion d’un très grand acteur. Si on vit dans un monde logique, le César du meilleur espoir n’a aucune raison de lui échapper. 2023 aura vraiment été l’année de son éclosion, puisqu’on a également pu l’apprécier dans « Cash » et « Yannick ».
La série « Tapie » : une mini-série très divertissante et bien menée. Laurent Laffitte est épatant, notamment !
La troisième saison de la série « Ted Lasso » : cette vraie pépite a tenu toutes ses promesses, jusqu’au bout ! quel crève-cœur que ce soit apparemment fini !
Nous, étudiants : un documentaire très poignant de Rafiki Fariala sur les conditions déplorables à Bangui.
The Fabelmans : une très belle ode au côté artisanal du cinéma, le film le plus personnel de Spielberg sans aucun doute. Malgré son côté ample, un film modeste dans le bon sens du terme, intime et très attachant. On voit que même les plus grands commencent souvent d’abord par des films de cowboys ou d’Indiens tournés avec trois bouts de ficelle, des films de vacances ou sur la fac. Il nous fait réfléchir sur la part de souffrance matricielle également dans l’œuvre de Spielberg – bien que souvent en filigrane. Douceur, mélancolie, cruauté, mais aussi humour, foi inébranlable dans les pouvoirs magiques et multiples du cinéma. Mention spéciale au casting notamment à Michelle Williams et Seth Rogen qui fait preuve ici d’une émotion contenue qu’on lui connaissait pas vraiment.
Le challenge de Gene Stupnitsky (No Hard Feelings), une comédie très originale, tendre, hilarante, avec une Jennifer Lawrence géniale. Son premier long-métrage était déjà un régal. Un film qui rappelle l’âge d’or des frères Farrelly !
Remarque : « j’aurais beaucoup aimé voir les films de Kaurismäki et Loach, mais je n’en ai pas eu l’occasion ! »