Au Cimetière de la pellicule.

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A la Recherche du film perdu.

 

Filmé marchant pieds nus, un jeune cinéaste déambule parmi des habitations de fortune, caméra à la main, portant un casque relié à une perche micro sur le dos. Sur une porte -celle d’un cinéma fermé-, des affiches et une banderole : »Les films du jour. » La porte est cadenassée. Sur le sol, de vieux tickets. Nous retrouvons le filmeur au cours d’un repas avec sa mère, à qui il confie sa quête : celle de retrouver Mouramani, le premier film réalisé par un metteur en scène d’Afrique francophone noire, Mamadou Touré, en 1953. Thierno Souleymane Diallo sollicite les bénédictions maternelles accordées immédiatement, et part sur les routes, au crépuscule.

 Mouramani, fiction de 23 minutes, nous raconte l’histoire légendaire d’un futur roi guinéen et de son chien; tourné au Bois de Vincennes, ce conte cinématographique semble perdu. La quête pour retrouver ce film devient symboliquement une recherche du cinéma guinéen ancien et de sa disparition. De nombreux plans nous montrent des cinémas fermés, contenant des caméras ou des bobines laissées à l’abandon, dans une cabine de projection recouverte de poussière et de sable, vestige d’un patrimoine désormais perdu. Ruines, abandons, bobines enterrées puis brûlées, autant de traces d’une absence de politique  de conservation du cinéma guinéen, alors que ce pays fut dans les années 60 à la pointe de la production, de la distribution et de la diffusion, notamment par la mise en place d’un laboratoire de développement cinématographique désormais délaissé.

La recherche du cinéaste le mène de villes en villages, de lieux désertés en huttes accueillantes. Thierno S.Diallo converse avec des villageois de Diankana, lieu du film, son ancien professeur de cinéma lorsqu’il étudiait à l’ISAG (Université des Arts de Guinée), des vendeurs de DVD à la sauvette, des projectionnistes ou des propriétaires de salles désabusés, ou d’anciens responsables de l’institution Sily Cinéma, que les régimes au pouvoir ont abandonnée pour privatiser le cinéma national. Il partage ainsi des repas et des souvenirs liés au film mais aussi au patrimoine recherchés : ses interlocuteurs laissent parfois transparaître leur colère face aux gouvernements guinéens successifs. Suivant un conseil donné par l’une des personnes interrogées, Diallo partira en France, lieu de conservation du patrimoine cinématographique par excellence sur les lieux du tournage de Mouramani, au Bois de Vincennes, puis au Bois d’Arcy, forteresse de la conservation du 7ème art. Ses pas le mèneront dans le Quartier Latin,  au cinéma La Clef où des cinéphiles militants résistent à la fermeture de la salle.

Film engagé, Au Cimetière de la pellicule se construit sur des oppositions : villages versus villes, culture contre voitures, oralité face aux affiches urbaines, mémoire affrontant l’oubli. Nous voyons et entendons ces contrastes grâce au montage alternant paysages sereins et bruits de circulation, silence des cinémas vides et effervescence amusée des spectateurs villageois. Le cinéma semble désormais se trouver, se retrouver, hors de la cité moderne. Tel un opérateur Lumière, Diallo se filme arrivant vers Diankana à dos d’âne, captant la surprise des enfants et des autres habitants qui le voient arriver. Nous pouvons y voir également une allégorie sur le chevalier parcourant des contrées parfois lointaines à la quête d’un Graal. La tenue arborée par le cinéaste lors de son séjour parisien -en armure de carton sur laquelle est inscrit le but de sa recherche- confirme cette interprétation. Le documentaire se métamorphose en légende arthurienne, en conte initiatique, au cours de laquelle notre héros consulte les sages habitant des endroits reculés ou gardant des sites délabrés, voire en constituant une armée de jeunes cinéastes lors d’une rencontre avec des étudiants sur les lieux de sa formation, à l’ISAG.  Diallo leur confie des caméras de fortune conçues avec du bois, les élèves de cet institut ne possédant aucun matériel ! Ils partent alors dans les environs, pour narrer à leur retour en classe ce qu’ils ont « filmé avec leurs yeux, enregistré avec leurs oreilles, et monté avec leur tête ».

Avec intensité mais aussi subtilité, la notion de film rêvé se déploie dans ce documentaire : les films imaginés par les apprentis de l’ISAG, la lecture filmée d’un cahier, Les Sensitives du Soleil, dans lequel des scenarii d’un cinéaste emprisonné naguère furent rédigés par son disciple et compagnon de cellule, puis une brève reconstitution du film tant recherché. « Pourquoi je filme sans chaussures ? », confie le réalisateur aux étudiants.  Parce que l’Etat ne s’est pas préoccupé de financer des films. Mais Mouramani est ressuscité par le pouvoir d’évocation de Diallo : grâce lui soit rendue.

Titre original : Au Cimetière de la pellicule.

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Durée : 93 mn


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