En s’évadant de prison avec un petit groupe de détenus, Ichiro (Ken Takatura) n’a qu’une idée en tête ; se venger de ses anciens complices qui, suite à un braquage qui a mal tourné, l’ont injustement dénoncé pour meurtre. Au milieu des années soixante, avec son cycle Ababashiri prison, le studio Toie va contribuer au succès d’un « sous-genre » du film d’action japonais : le film d’évasion. Tourné quelques années après la longue vague de succès du studio, Great Jail Break reprend les codes du genre en les enrichissant d’un regard sombre sur la nature humaine. Pour découvrir un pan de la production japonaise méconnu en France et apprécier la singularité de Great Jail Break, le bonus « Histoires de prisons » par Julien Sévéon ainsi que le livret du combo se révèlent aussi indispensables que limpides.
S’appuyant sur un scénario minimaliste maniant parfaitement l’art de l’ellipse, sur des dialogues concis et performatifs, sur un sens de l’action acéré; la course effrénée et funèbre orchestré par Teruo Ishii est d’une efficacité sans faille. Un modèle du genre. Mais, le tour de force de la mise en scène se situe bien au-delà de la pure efficience. Chaque chapitre, chaque étape du fatal périple se conjugue dans une esthétique propre et renouvelle ses influences, tout en maintenant l’homogénéité de l’ensemble. L’incipit dans les ténèbres du couloir de la mort s’écrit sous la forme d’un cauchemar dont les cris nous glacent jusqu’à l’épouvante. La stupeur des prisonniers amplifiée par des raccords secs et des cadrages saisissants rappellent la sécheresse avec laquelle SamueL Fuller aborde le lien entre la mort et la folie dans Shock Coriddor (1963) ou dans son introduction choc de Police Spéciale (1964). Bien que située en pleine nature; la séquence survivaliste où les évadés tentent de survivre à une tempête de neige prend la forme d’un huis clos aussi oppressant que celui des cellules de la prison, en se doublant d’une dimension surréaliste. La courte période durant laquelle Ichiro occupe un emploi baigne dans un naturalisme aux échos sociaux. Puis, lorsque ce dernier met à exécution son plan vengeur, la mécanique du revenge-polar s’enclenche, poussée jusqu’à son acmé comme dans Le point de non-retour de John Boorman (1967). Enfin, les carnages qui clôturent cette impitoyable poursuite sont baignés dans le graphisme et les éclats de couleur qui dessinent et éclaboussent les films de sabre. Sans jamais générer un sentiment de rupture, les différents thèmes musicaux nourrissent les changements de registre et de tempo, sans oublier les belles pauses lyriques lorsqu’une idylle sans lendemain s’ébauche entre le fugitif et une danseuse itinérante.
Glaçant, lorsqu’il s’agit d’exécuter ses anciens complices ou ceux qui tentent d’entraver ses desseins, touchant par sa retenue lorsque la compassion anime ses intentions, Ken Takatura, dont la beauté ténébreuse fascine, campe, avec un stoïcisme subtilement ébranlé par la teneur des évènements, cet anti-héros, incarnation troublante de la frontière ténue séparant le Bien et le Mal. Sa silhouette fatiguée par le poids des années et de la culpabilité courbe l’échine mais ne rompt pas avant d’avoir accompli son œuvre. Véritable seconde peau pour Ken Takatura, ce type de personnage va l’accompagner durant sa longue carrière japonaise, et aussi comme un ambassadeur du cinéma de genre japonais dans Yakuza (Sydney Pollack) et Black Rain (Ridley Scott). D’une façon plus large, Great Jail Break s’articule comme un trait d’union entre les deux conceptions du film noir -Hollywoodienne et Nipponne, d’où il puise son irrésistible force .
Great Jail Break. Sortie Combo (Blu-Ray+DVD+Livret) chez Roboto films