Un film voulu de longue date
Voici enfin sur les écrans, donc accessible au commun des mortels, l’ultime film de Coppola qui a été tant détesté et critiqué à Cannes cette année. Il faut dire en effet que Megalopolis est un film dérangeant, et par son sujet politique, et par sa réalisation et son interprétation. Pourtant – et Francis Ford Coppola le reconnaît lui-même -, il a toujours réalisé des films différents à la fois au niveau du genre, et de leur impact. Nous allons le vérifier tout de suite. Mais, pour répondre à ses détracteurs, on demanderait un peu plus d’attention et de professionnalisme avant de condamner au silence le dernier film du maître qui lui a demandé tant d’efforts et de pugnacité. En effet, le réalisateur a commencé à travailler sur le sujet depuis 1980, non pas en écrivant un scénario comme on a trop tendance à le dire comme pour insinuer que ce film serait le résultat d’une exhumation de tiroir, mais en prenant des notes et en découpant des articles de presse et des extraits de livres consacrés à l’époque romaine, du temps de la conjuration de Catilina dans les années -60 avant JC. Mais, par manque de financement, le projet n’aboutira pas. Coppola se décide enfin à le réaliser à New York au début des années 2000 mais hélas juste au moment de la destruction des Tours jumelles. Il abandonne encore une fois le projet parce qu’il trouve que ce serait indécent de filmer ce scénario sur la décadence en politique en pareil moment, mais il a conservé des plans bouleversants qui avaient été tournés par sa deuxième équipe alors en action dans New York. Le film est encore reporté. Mais pendant ce temps, le réalisateur a déjà auditionné de nombreux acteurs qu’on retrouvera dans le casting du film.
La Rome antique à New York
Après avoir traversé la pandémie, et vendu une partie de ses vignobles californiens pour financer ce pharaonique projet, le tournage peut commencer. En effet, après bien des déboires et des hésitations, le tournage débute dans les studios de Trilith de Fayetteville, en Géorgie, le 7 novembre 2022 et s’achève le 11 mars 2023. C’est donc un film qui tient particulièrement au cœur de Coppola qui a rénové un vieux motel pour pouvoir y installer les comédiens, lui-même et sa chère épouse à qui le film est dédié, et des salles de répétition. Malgré son côté parfois faussement SF et ses nombreuses maladresses, on ne peut ôter au film son côté polémique puisque le réalisateur a eu le courage, rare de nos jours, de mettre en parallèle le monde décadent de la Rome antique avec l’Amérique actuelle, se focalisant sur la ville phare de New York dont l’architecture art déco bien mise en valeur par sa caméra s’inspire de la romanité. Certains critiques ont relevé le côté kitsch de la mise en scène, effrayés parce qu’ils n’y retrouvaient pas leur Coppola. Pourtant, le film possède de nombreux points communs avec son précédent Dracula(1992) mais aussi avec Tetro (2009) ne serait-ce que par l’originalité du scénario qui n’a pourtant rien à voir et la présence d’un acteur indépendant : l’émouvant Vincent Gallo dans Tetro et le surprenant Adam Driver dans Megalopolis. Tous les acteurs d’ailleurs, qu’ils soient habitués ou non à la caméra coppolienne, sont présents, même s’ils sont souvent méconnaissables, à commencer par Dustin Hoffman, mais tant d’autres comme Shia Labeouf, John Voight et Laurence Fishburne… Acteurs certes inégaux, mais ce qui est peut-être le plus gênant dans le film, c’est la couleur orangé de la plupart des images, dues à Roman Coppola (?), un atmosphère trop étouffante encore pire que celle du Cinquième élément de Luc Besson (1997).
Nombreuses références
Sans être un film référentiel, le film ne va pas bien sûr sans évoquer La vie future (1936) de William Cameron Menzies que Coppola confie avoir vu tout jeune, mais bien évidemment Métropolis de Fritz Lang (1927). On pourrait aussi y remarquer une certaine parenté avec un autre film détesté à Cannes, Cosmopolis de David Cronenberg (2012) produit par Paulo Branco. Mais on serait presque en droit de se demander si le dernier film de Francis Ford Coppola ne serait pas aussi et surtout un hommage à un cinéaste italien qui a souvent mis en scène la décadence et la fin d’un monde. En effet, par son côté baroque, lesbien, apocalyptique et empli de romanité, Megalopolis s’inspire sans doute aussi beaucoup de Fellini-Satyricon (1969) et un peu du Caligula de Tinto Brass (1979) qui ressort remonté et remastérisé cette année. D’ailleurs, Coppola reconnaît lui-même de nombreuses références qu’il décline dans sa note d’intention : « Je n’aurais pu réaliser Megalopolis sans m’appuyer sur George Bernard Shaw, Voltaire, Rousseau, Bentham, Mill, Dickens, Emerson, Thoreau, Fuller, Fournier, Morris, Carlyle, Ruskin, Butler, et Wells; ou encore sur Euripide, Thomas More, Molière, Pirandello, Shakespeare, Beaumarchais, Swift, Kubrick, Murnau, Goethe, Platon, Eschyle, Spinoza, Durrell, Ibsen, Fellini, Visconti, Bergman, Bergson, Hesse, Hitchcock, Kurosawa, Cao Xueqin, Mizoguchi, Tolstoï, McCullough, Moïse et l’ensemble des prophètes. » Pour terminer par un vœu pieux qui ne se réalisera certainement pas : « Je rêve que Megalopolis devienne un film traditionnel de réveillon du nouvel an et que les spectateurs discutent, après la projection, non pas de leur nouveau régime ou de leur résolution d’arrêter de fumer, mais de cette simple question : « La société dans laquelle nous vivons est-elle la seule à notre disposition ? » »