Mad God

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Un film en fer barbelé, MAD GOD en demande beaucoup au spectateur. Le spectateur l’en remercie.

Le premier chef d’œuvre issu du crowdfunding ?

L’Alice de Jan Švankmajer nous invitait à nous enfoncer dans un terrier. Le Mad God de Phil Tippett, lui, a élu résidence dans un égout au centre de la planète, entouré de vastes paysages morbides et répugnants – des diarrhées sur toile et des crasses de fond de siphon. Pour bien des spectateurs, l’animation par stop-motion et par go-motion est une technique qui a quelque chose de flottant, de légèrement dérangeant. Le mouvement animiste qu’elle donne à voir s’approche du naturel, sans jamais l’atteindre. Loin de chercher à en adoucir les angles, Tippett tire profit du caractère sordide du procédé dont il est expert, faisant de son œuvre un véritable autel à la gloire de la rouille, de la bile, du mucus, du sang séché et de toutes sortes d’autres rejets organiques. Dans un scénario qui est moins le produit d’une forme écrite que d’une forme tachée, le long-métrage nous fait lentement évoluer à travers une série de tableaux post-apocalyptiques. On ne comprendra jamais la relation des personnages les uns avec les autres, par ailleurs, aucun d’eux n’est crédité au générique autrement que par sa fonction (« Nurse », « Surgeon », « Assassin »). En revanche, on comprendra toujours instinctivement les règles de cet univers post-mortem-moderne, au final celles de l’alchimie, c’est-à-dire qu’une chose doit être consommée ou sacrifiée afin de produire tel ou tel résultat.

Mad God est-il un bon film ? Peut-être. La mission esthétique qu’il se donne est, de toute évidence, différente de celles qu’ont la majorité des autres sorties. L’opinion du spectateur dépendra de sa tolérance à l’esthétique blattodea du long-métrage. Pour autant, on peut en être sûr, Mad God est un film extrêmement bien réalisé et incroyablement texturé. Son équipe créative (de ce qu’on croit comprendre, un groupe d’employés de Tippett qui ont tous été attirés par l’ampleur du projet) a eu la sagesse d’introduire des maladresses et des imperfections dans des plans où elle avait pourtant, par définition, un contrôle total sur chaque image animée.

Dans une sorte d’imprévu prévu, la photographie du long-métrage est admirable dans son rapport au monde physique. Tippett et les artistes autour de lui savent parfaitement qu’au cinéma, un cadre n’est jamais tout à fait symétrique, un figurant jamais tout à fait immobile. Ils savent parfaitement comment la lumière réagit à chaque matériau, et comment une caméra pourrait bouger en réponses aux mouvements des titans qu’ils s’amusent à mettre en scène. Et alors que ce film ne peut exister que grâce au support de l’animation, il apparaît qu’il est fascinant, visuellement, de la même manière qu’un film en prises de vues réelles aurait pu l’être.

Un film presque muet et une faim de Métal Hurlant

Un Ray Harryhausen contemporain, Phil Tippett a une carrière impressionnante qui l’a mené à travailler avec de grands cinéastes : Spielberg sur Indiana Jones & Jurassic Park, Verhoeven sur RoboCop & Starship Troopers. Fortes de telles rencontres, les propositions de Tippett en tant que réalisateur allaient forcément être intéressantes – Cela force le respect que celle-ci ait été, en plus, à ce point surprenante et radicale. Alors, le film n’est pas parfait : Ostensiblement un exercice de style, Mad God peine à se faire pardonner ses quelques scènes moins abouties. Je pense à un errement Lynchoïde en particulier, un extrait qui illustre l’accouchement par césarienne sauvage d’un inquiétant bébé. L’espace de cet instant, la colorimétrie du film est modifiée pour laisser place à des lumières très jaunes et très chaudes. Le film se dote d’un filtre : Celui d’un grain très prononcé – trop. Celui d’un grain très grunge – trop direct, c’est-à-dire trop envoyé à la rencontre du spectateur. Ce parti pris est celui d’un désir de confrontation avec le public, mais il serait plus à sa place dans l’un des hommages les moins inspirés d’un Robert Rodriguez ou d’un Rob Zombie amoureux de l’antisubtil.

L’un dans l’autre, Mad God ne plaira pas à tout le monde. Dans un monde où la forme animée est de plus en plus uniformisée, c’est une excellence chose ! Gutturale, viscérale, l’œuvre fait un spectacle des choses qu’on déteste regarder, et elle le fait avec brio. Surtout, Mad God est une porte d’entrée délicieusement écœurante (littéralement écœurante, c’est-à-dire qui trépane des cœurs) vers une filmographie trop peu connue. Il nous invite à nous pencher sur les courts-métrages de Tippett – Prehistoric Beasts, MutantLand – et sur un téléfilm qui ne nous aurait jamais attiré hors de ce contexte – Starship Troopers 2 : Hero of the Federation, qu’il a réalisé en 2004.

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Durée : 85 mn


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