The Return, le retour d’Ulysse.

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Cette adaptation partielle de l’Odyssée d’Homère se signale surtout par ses faiblesses. Elle reprend l’idée du retour impossible du guerrier, trop marqué par ce qu’il a fait ou vécu pour pouvoir se réinsérer dans la vie normale, et qu’écrase un sentiment de culpabilité pour les crimes accomplis. Il ne reste rien du mythe de l’industrieux Ulysse, déterminé à reconquérir femme, enfant et royaume.

Une médiocre adaptation de l’Odyssée.

Cette adaptation très partielle de l’Odyssée (puisque sont ici escamotés les douze premiers chants, sur les vingt-quatre que compte le poème) ne cherche pas la fidélité à l’œuvre-source, ce dont on ne saurait faire grief à Uberto Pasolini : c’est un droit reconnu à tout créateur que d’opérer des modifications par rapport à la trame initiale, et personne ne s’en est privé, en littérature par exemple avec déjà Dante (Enfer, XXVI) au Moyen-Âge ou au XXe siècle avec James Joyce (Ulysse). Mais il faut cependant constater que, dans la réélaboration de la matière première,  le film dont on va parler n’est pas allé « de main morte ».

D’abord les dieux et déesses (Athéna en particulier) sont totalement absents du film : c’est pourtant Athéna qui protège Ulysse et l’aide à retrouver son trône (en le métamorphosant en vieillard puant pour que nul ne le reconnaisse…sauf son vieux chien Argos dans une scène qu’Uberto Pasolini a heureusement conservée, comme il a conservé la reconnaissance d’Ulysse par sa vieille nourrice). Tout le merveilleux du poème a donc disparu ici. Ce n’est plus sur un bateau magique et comblé de richesses par les Phéaciens qu’Ulysse regagne Ithaque, mais comme un naufragé, une misérable épave… les fesses à l’air (le réalisateur a même inventé un épisode où Ulysse est repêché une première fois par certains des prétendants, avant d’être rejeté à la mer parce perçu par eux comme un rival potentiel !). Dans ce film le père d’Ulysse, Laërte, n’est plus qu’un vieillard gâteux qui meurt avant qu’il ait pu retrouver son fils, alors que leurs retrouvailles étaient un temps fort du poème (au chant XXIV). En conséquence le fameux stratagème inventé par Pénélope (elle n’épousera l’un des prétendants qu’une fois qu’elle aura achevé de tisser le linceul pour son beau-père) tombe à l’eau : The Return revient d’ailleurs sans cesse sur ce motif du métier à tisser à laquelle la pauvre Pénélope (Juliette Binoche) apparaît quasiment enchaînée…

Les prétendants que montre Uberto Pasolini sont plutôt étonnants : ainsi Pisandre (Tom Rhys Harries) a la tête d’un parfait SS, avec ses cheveux blonds coupés au carré et son absence totale de sens moral ; tandis qu’Antinoos (Marwan Kenzari) est ici bizarrement métamorphosé en amoureux transi, sincèrement épris de Pénélope (malgré son mielleux cynisme), et acceptant à la fin (quand il sent qu’il a perdu la partie et ne sera jamais l’époux) d’être proprement décapité par Télémaque. C’est là un travers de ce film que de présenter quelques scènes inutiles de violence (il y en avait déjà assez avec le massacre final des prétendants au chant XXII de l’Odyssée) : comme la mort accidentelle du messager Iros (victime d’un croche-pied d’Ulysse sa tête vient se fracasser sur une marche du palais), ou cette étrange chasse à l’homme avec des lévriers organisée par Antinoos, ou la mise à mort d’un pêcheur sous les coups pour lui faire avouer où se cache Télémaque. Il y a également quelques scènes – discrètes – de sexe (quand les servantes infidèles couchent avec les prétendants ; mais, contrairement au poème, elles ne finiront pas pendues à la fin), sans doute pour pimenter le spectacle…

Télémaque (Charlie Plummer) est présenté comme un petit jeune homme en conflit avec ses parents (anachronisme plutôt surprenant) : il reproche ainsi violemment à sa mère de n’être qu’une égoïste et une insensée, qui ne fait rien pour abréger les souffrances du peuple en ne se décidant pas à choisir enfin un nouvel époux (ce qui mettrait un terme au pillage de l’île par les prétendants) ; et quant à Ulysse, Télémaque refuse presque jusqu’au bout de le reconnaître comme son véritable père. Ah ! Ces jeunes…À la fin c’est d’ailleurs lui qui quittera Ithaque une fois ses parents réconciliés, alors que dans la véritable Odyssée c’était Ulysse qui devait repartir rapidement pour se conformer à une prophétie du devin Tirésias. Au passage, on s’étonnera du décor : le palais d’Ulysse devient une forteresse médiévale (le château franc de Chlemoutsi à Kyllini, du XIIIe siècle), totalement anachronique.

Quant au « message » que délivre le film, c’est qu’on ne « revient » jamais de la guerre. Elle vous marque à jamais et vous transforme en machine à tuer. C’est ainsi qu’apparaît l’acteur qui interprète Ulysse : Ralph Fiennes (le chef du camp nazi Amon Göth dans La Liste de Schindler), à l’expressivité fort limitée, bodybuildé mais couvert de cicatrices, hirsute et sale, qui parle peu mais qui dit à Télémaque – et non au Cyclope – qu’il s’appelle « Personne ». Victime de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « stress post-traumatique », il éprouve un profond dégoût de ce qu’il est devenu : il n’a plus rien du rusé et combattif personnage de l’Odyssée, voulant à toute force retrouver son palais, sa chère femme et son jeune fils. Ce n’est plus qu’une loque qui finit couverte du sang des prétendants, qui fait horreur à Pénélope après le carnage qu’il vient de réaliser – seul, contrairement au poème – en abattant à l’arc ou en éventrant à l’épée ses adversaires (l’hémoglobine a giclé partout). Tout juste au dénouement semble-t-il se réveiller de sa torpeur, quand lui revient à l’esprit le souvenir du lit nuptial qu’il avait construit sur le tronc d’un olivier vivant, ce qui semble aussi émouvoir Pénélope et susciter en elle malgré tout quelque sentiment pour cet époux déchu.

Ce thème du retour impossible du guerrier n’est en rien original : par exemple en 1946, donc au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Suédois Eyvind Johnson dans Strändernas svall (L’Agitation des flots sur les grèves) montrait pareillement un Ulysse au corps ravagé par le temps, couvert de cicatrices, mais surtout écœuré par le sang qu’il avait versé lors de la guerre de Troie, et écrasé par un sentiment de culpabilité. Qu’ajoute à cela le film d’Uberto Pasolini, dépourvu de rythme, à l’interprétation médiocre, bien fade visuellement et écrasé par un obsédant fond musical qui se voudrait dramatique ? Rien.

Pénélope retrouve Ulysse

Titre original : The Return

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Durée : 116 mn mn


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