Peter von Kant

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François Ozon retrouve son maître Fassbinder pour une méditation sur l’amour et le cinéma. Bouleversant.

Huis clos sulfureux

En portant pour la deuxième fois une pièce de Rainer Werner Fassbinder à l’écran, François Ozon ne se doutait certainement pas qu’il allait nous offrir un tel chef-d’œuvre. Car ce Peter von Kant, qu’il a voulu produire seul pour être plus libre, ne ressemble à rien de ce qu’il avait créé jusqu’à présent et c’est sans doute le film dans lequel il met son coeur à nu à tous les sens du terme. Comme pour Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, sorti en 2000, et que François Ozon avait adapté d’une pièce que Rainer Werner Fassbinder avait écrite à l’âge de 19 ans et jamais ni montée ni filmée, la structure théâtrale est bien présente, notamment à travers le huis clos d’un appartement. Mais, à la différence de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, le traitement du film qu’il a adapté des Larmes amères de Petra von Kant est bien différent. Par le montage, il est déjà parvenu à donner du rythme à l’enfermement des personnages dans l’appartement de l’artiste, recréé en banlieue parisienne dans un ancien orphelinat. De plus, même si l’on retrouve les accents de la pièce et du film originaux, François Ozon a bien changé le texte déjà pour en faire quelque chose de moins littéraire.

Inversion des personnages

En outre, Petra est devenue Peter et tous les personnages féminins de ce film qui mettait en scène la vie d’une célèbre styliste de mode et son univers lesbien sont devenus des hommes à commencer par Karl, l’assistant martyrisé et mutique à la place de Marlene et par Amir, l’objet des désirs de Peter, un beau jeune homme arabe qui n’a rien du personnage d’Ali interprété par El Hedi ben Salem dans Tous les autres s’appellent Ali (1974) qui aurait été l’amant de R.W. Fassbinder et duquel François Ozon voulait s’inspirer à l’origine. De plus, Peter interprété par un Denis Ménochet au meilleur de son art, joue en fait le rôle de Fassbinder et tout le film oscille du coup entre méditation sur l’amour et l’impossibilité pour l’homme de se sentir aimé en retour et réflexion sur le monde du cinéma et de la création. On dirait que tout le film est habité par l’âme du réalisateur qui, on le sait, a connu une vie tragique et des amours malheureuses entre désespoir, drogue et célébrité. Tout cela se retrouve dans le film merveilleusement éclairé par Manu Dacosse, dans des décors créés par Katia Wyszkop et les costumes sublimes de Pascaline Chavanne qui a dû bien s’amuser à habiller Isabelle Adjani, dans le rôle d’une actrice fassbinderienne cocaïnomane, et à chercher un slip panthère à la manière de celui que Gérard Depardieu porte dans Tenue de soirée réclamé par Denis Ménochet. Bien sûr, le film est servi par le talent d’acteurs épatants : on a déjà cité Denis Ménochet habitué d’Ozon, mais on n’oubliera pas non plus Khalil Gharbia, une découverte dans le rôle d’Amir et Stefan Crepon dans celui de Karl, le souffre-douleur du cinéaste qui finira par le quitter.

Isabelle Adjani et Hanna Schygulla en guest-stars de génie

Bien sûr, l’idée de génie est d’avoir invité Isabelle Adjani pour le rôle de la star Sidonie Von Grassenabb et, bien sûr, Hanna Schygulla, la star fassbinderienne par excellence, pour le rôle de la mère de Karl, elle qui a très bien connu la mère de Fassbinder et connaissait son travail et sa personne dans les moindres détails. Le tout invoque et évoque parfaitement l’univers du célèbre Bavarois, mais en beaucoup moins sordide et désespéré car Ozon a réussi à lui insuffler un peu de l’esprit boulevardier français, assez de fantaisie et énormément de recherche sempiternelle de la beauté et de la mélancolie sans doute héritée de Charles Baudelaire, notamment par l’utilisation des chansons : de Cora Vaucaire (Comme au théâtre), ou Jeter Tötet was er liebt (Chacun tue ce qu’il aime) chantée en allemand par Isabelle Adjani, et certainement celle qui entrera dans la mémoire des spectateurs pour ne plus en sortir, le magnifique In my room, interprété par The Walker Brothers, paroles et musique de Preto Pedro Joaquin Espinosa, Lee Julien Pockriss et Paul Vance.

 

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Durée : 85 mn


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