Un écrin pour Deneuve, donc – mais en définitive, quel film n’est pas un écrin pour Deneuve ? Elles sont quelques-unes comme ça, les actrices françaises intouchables : Jeanne Moreau, mais on ne la voit plus ; Isabelle Huppert, mais ses personnages semblent s’effacer derrière l’actrice ; Isabelle Adjani, mais le come-back ne s’est jamais fait. Catherine Deneuve, elle, est toujours là. Aujourd’hui comme hier, elle tourne avec les meilleurs, reste fidèle à sa famille de cinéma, fascine. Et il faut bien l’admettre : quand, au bout de 40 minutes, elle arrive enfin, projetée dans le cadre comme par magie, à la faveur d’un changement d’époque (le film couvre une quarantaine d’années), Les Bien-aimés peut vraiment commencer.
Madeleine et Vera, « Telle fille telle mère », vont passer les trois prochaines décennies à naviguer entre les hommes de leur vie. Christophe Honoré en est donc là, toujours : chanter l’amour, mais l’amour contrarié, l’amour en dents de scie. Il n’y pas d’amour heureux. S’il s’ouvre comme une référence avouée aux films de Truffaut, notamment L’homme qui aimait les femmes pour le côté fétichiste des jambes et chaussures, Les Bien-aimés s’envole vite vers ce qui fait le cinéma d’Honoré depuis Les Chansons d’amour : une mélancolie comme « amour de la tristesse », une nostalgie du temps qui passe et ne se rattrape pas. C’est la plus belle réussite du film, par ailleurs l’un des plus beaux d’Honoré : suivre des personnages sur plus de quarante ans, les accompagner, nous les faire aimer hier, aujourd’hui, demain. Le tout en chansons. Et tant pis si la musique d’Alex Beaupain horripile parfois, tant le compositeur désormais attitré d’Honoré sait parfaitement ce que le cinéaste veut dire, le sentiment qu’il veut faire entendre. « Je peux très bien vivre sans toi tu sais / Le seul problème mon amour c’est / Que je ne peux vivre sans t’aimer ». Tout est là, dans une phrase-leitmotiv chantée par à peu près tout le monde au fil des années. Les amours se font et se défont, mais jamais complètement – deux amoureux, ça ne se désaime jamais tout à fait.
Incurable romantique, Christophe Honoré ? Oui, absolument. Follement passionné et ambitieux, aussi. D’ailleurs, Les Bien-aimés souffre parfois de cette ambition, de ce trop-plein d’histoires, d’époques et de lieux. Pourtant, s’il n’atteint pas certains sommets des Chansons d’amour, il est aussi plus adulte, plus mûr, surtout moins soucieux de son époque. Et puis, cette envie de parler de tout, de tout ingérer, de montrer ce et ceux que l’on aime, fait in fine le charme des Bien-aimés, qui porte vraiment bien son nom. Et qui renvoie finalement, et ce n’est pas la pire des filiations, à Albert Camus dans L’Envers et l’endroit : « Je sais bien que j’ai tort, qu’il y a des limites à se donner. À cette condition, l’on crée. Mais il n’y a pas de limites pour aimer et que m’importe de mal étreindre si je peux tout embrasser. »