La Jeune fille et la mort (DVD/BLU-RAY chez Tamasa)

Article écrit par

Un huis clos avec le Diable orchestré par le maestro Polanski.

Sans issue

La nuit, en plein cœur d’une tempête shakespearienne, son véhicule immobilisé, Gerardo Escobar (Stuart Wilson) est reconduit chez lui par le docteur Roberto Miranda (Ben Kingsley). En entendant la voix du « bon samaritain », Paulina (Sigourney Weaver), l’épouse de Gerardo, est persuadée qu’il s’agit là de l’homme qui l’a violée à plusieurs reprises durant sa période de séquestration politique.  Le cadre circonscrit de l’action, une maison isolée et ses alentours rendus périlleux par les circonstances climatiques, constitue un matériau idoine pour Polanski. Comme dans Cul-de-sac (1968) et The Ghost Writer (2010), l’insularité comme gage de protection n’est qu’un leurre, même s’il n’y a aucune présence humaine aux alentours de la maison, un plan « Fenêtre sur cours » confirme l’inéluctable. À plusieurs reprises d’autres inspirations Hitchcockiennes -notamment autour du téléphone- viendront nourrir la mise en scène.  Rapidement convoqués pour ne plus en user artificiellement par la suite, des effets de genre : ciel menaçant, coupure de réseaux électrique et téléphonique installent la dimension diabolique du film. Adapté de l’œuvre théâtrale éponyme de l’auteur chilien Ariel Dorfman, hormis les scènes  d’ouverture et de fin, et de brèves échappées dans un proche périmètre,  La jeune fille et la mort se déroule  essentiellement dans le tout petit nombre de pièces de la maison.  Mais, si le huis clos provoque logiquement l’étouffement, il ne fige jamais la dramaturgie dans des situations répétitives voire attendues. Se révèle alors  toute la maestria du metteur en scène, qui s’est appuyé sur deux collaborateurs d’exception, Pierre Guffroy, chef décorateur adoubé par Buñuel,  et Tonino Delli Colli, chef opérateur attitré de Pasolini -la restauration 4K donnant tout son éclat aux couleurs. Exploitant chaque recoin, chaque contrainte d’espace pour traduire les peurs, les doutes, les changements de points de vue et de versions des trois protagonistes, l’orchestration, si harmonieuse et millimétrée, donne le sentiment que les lieux se métamorphosent selon les situations.

 

Résonances

Sur ce plateau de théâtre provisoirement hors–la loi (ironie des faits, à l’aube des secours sont prévus pour protéger le couple), deux dialectiques vont prendre corps. La première est de nature mémorielle. Quelques années auparavant, durant sa période d’incarcération, les yeux constamment bandés, Paulina n’a jamais croisé le regard de son violeur, mais son odeur ne trompe pas -Sigourney Weaver va  humer Ben Kinglsley, comme son personnage de Ripley l’était par le monstre dans Alien. Et surtout  la voix du tortionnaire résonne encore en elle, au même titre que la musique de La jeune fille et la mort, l’œuvre de Schubert qui accompagnait chaque viol. L’absence de flashback, au-delà de laisser planer une part de doute sur  l’exactitude des accusations, oblige la jeune femme a convoquer sa mémoire en mettant en scène une inversion des rôles. De victime elle se transforme en juge, puisant son énergie et sa détermination dans un processus de reconstruction, bien plus que dans un désir de vengeance. Ainsi, en plus de  ligoter son ancien bourreau, la jeune femme va lui extorquer des aveux écrits sous la menace. Les circonstances  la conduiront même à lui faire subir une humiliation corporelle. Le procès reprend donc les mêmes procédures expéditives que celles en vigueur dans la dictature déchue.  Dans le préambule, un texte prend soin de spécifier que l’action ne se situe pas dans un pays en particulier, mais quelque part en Amérique du sud, pour une portée politique plus grande.

La deuxième dialectique est liée à l’intime : l’arrivée d’une tierce personne comme  révélateur des tensions dans le couple. Un sujet déjà au cœur de Cul-de-sac, où l’intrusion dans un foyer d’un malfrat sans vergogne démontre l’absence de « virilité » du mari. Avec Lune de fiel (1992) Polanski arpente le terrain glissant de la relation entre couples. Tandis que dans Carnage ( 2011), le jeu de chaises musicales sera dopé à l’acide. La longue nuit de La jeune fille et la mort passe par plusieurs étapes.  En premier lieu, un mari qui doute des propos de sa compagne une accusation de paranoïa si facile à dégainer quand on veut discréditer une femme (comme dans Rosemary’s Baby, 1968). Mais la placidité relative de Paulina délégitime rapidement cette accusation. C’est autour du mari d’être sur la sellette. et d’avouer ses écarts. Pour suivre les injonctions de sa femme, y compris celle de jouer le rôle de l’avocat de Miranda. Comme le plus souvent chez Polanski, le personnage féminin principal est fortement malmené, mais son courage va l’élever au-dessus des autres. À la fois victime  et juge, Paulina se veut un rempart contre toutes les formes d’oppression.

 

DVD/BLU-RAY chez Tamasa à partir du 23 mai.

 

Titre original : Death and the Maiden

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre : ,

Pays : ,

Durée : 105 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi