Non ma fille, tu n’iras pas danser

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Après une << trilogie >> très parisienne, Christophe Honoré retourne à sa Bretagne natale pour les besoins de Non ma fille, tu n´iras pas danser, incartade mélancolique dans une famille en crise. Tendre et brutal, âpre et doux, son nouveau film s´amuse brillamment à jouer des émotions contraires, mais se révèle surtout un bel hymne à la liberté.

Depuis trois films, Christophe Honoré est passé maître dans l’art de disséquer et scruter les relations humaines, plus particulièrement quand elles sont placées sous le joug de la pression familiale ou de la norme sociale. La dépression du Romain Duris de Dans Paris, le travail de deuil dans Les chansons d’amour, les amours adolescentes de La belle personne en témoignent. Loin de la capitale, Non ma fille, tu n’iras pas danser prend une autre saveur, mais poursuit des thèmes similaires, bien que plus adultes, plus matures, un peu plus loin de l’adulescence des personnages des films précédents. Au centre de celui-ci, Léna (Chiara Mastroianni), mère seule à bout de nerfs qu’une visite estivale dans la maison familiale en Bretagne ne va pas reposer : sa sœur, enceinte jusqu’aux yeux, oscille entre crises de larmes et assauts verbaux à l’encontre de son mari ; son jeune frère parade aux bras de sa nouvelle copine ; un ancien amant reprend du service ; son ex-mari débarque à la campagne, invité par les parents de Léna, qui ne souhaitent que « le bonheur » de leur fille. Exagéré ? Pas vraiment, car Honoré se pose tout autour des personnages, sans parti pris, et n’en fait jamais des caricatures : tous affichent une dualité (tendresse/veulerie) qui se révèle attachante et, surtout, humaine.

Il faudrait d’ailleurs tous les citer, puisque Louis Garrel fait une incursion brève mais royale, qu’Alice Butaud joue à merveille la copine versatile, que Marie-Christine Barrault est émouvante en grand-mère envahissante, que Marina Foïs est décidément très à l’aise dans la comédie dramatique, et que Jean-Marc Barr nous avait manqué dans un rôle aussi consistant. Mais l’héroïne de Non ma fille…, c’est bien Chiara Mastroianni, définitivement à classer parmi ce qui est arrivé de mieux au cinéma français ces dernières années. Comme si Christophe Honoré s’était enfin rendu à l’évidence, qu’il lui avait enfin fallu lui donner le rôle principal de l’un de ses films. Difficile d’imaginer en effet qui d’autre aurait pu s’emparer aussi joliment du personnage de Lena, toujours sur le fil entre bravoure (maternelle, sociale, familiale…) et résignation.

 

 

Quand Non ma fille… commence, la vie de Léna est déjà plutôt compliquée : ses enfants lui échappent à la gare Montparnasse, elle s’apprête à prendre le train pour rejoindre sa famille « qui [l]’étouffe », et elle cherche désespérément un peu de sérénité dans sa vie actuelle. Car le personnage de Chiara Mastroianni est ainsi, toujours comme pris entre deux eaux : tendre avec ses deux enfants, mère aimante mais aussi femme esseulée et amère, elle qui vient de prendre la décision de quitter son mari Nigel (Jean-Marc Barr), vidant l’appartement conjugal alors qu’il est absent. Une décision égoïste qui va à l’encontre de la sacro-sainte morale de la famille de Léna, qui ne le dit pas mais n’en pense pas moins, et dont la jeune femme subit la violence des reproches larvés. C’est d’ailleurs tout le sujet du film : comment être soi-même, comment s’affirmer, surtout en tant que femme indépendante, quand, autour de soi, tout et tout le monde semble vous crier que vous faites les mauvais choix ? Quand les parents de Lena invitent Nigel, à l’insu de celle-ci, à venir partager les vacances de son ex-femme « pour qu’il voie ses enfants », difficile de ne pas comprendre Lena qui veut tout de suite prendre le train du retour.

Mais elle reste, se bat, lâche prise, se re-cramponne comme à elle peut à ce qu’elle doit faire, du moins à ce qu’elle estime être « les choses à faire » : s’occuper des enfants, faire acte de présence à la table du petit-déjeuner, ne pas se laisser aller. D’autant plus qu’en parallèle, sa sœur Frédérique (Marina Foïs, formidable on le répète) ne va pas mieux, mais tente de le dissimuler du mieux qu’elle peut. Il faut dire qu’ils vont plutôt tous très mal, dans cette cellule familiale au bord de l’implosion. Mais il faut composer avec, faire mine de tenir, car la dépression, on veut bien l’admettre, beaucoup moins la voir. Léna, pour ne pas sombrer dans la folie, prend in fine la décision de la liberté, la vraie, sous une forme extrême même si compréhensible et que l’on ne révélera pas dans ces lignes. Plus tôt dans le film, le thème de la liberté revient souvent : les parents, déjà âgés, qui retrouvent complicité et affection lors d’une escapade à Rome (l’une des plus belles scènes du film), le mari bafoué qui apprend à ses enfants les paroles de la chanson Making plans for Nigel, dans un moment enfin loin de toute tension conjugale, ou Léna qui s’autorise un baiser avec un ancien amant. 

 

 

Mais au final, toute la pensée de Christophe Honoré s’articule autour d’une scène-clé de milieu de film, laborieuse et pourtant cruciale, détachée seulement en apparence du reste de la trame narrative : il y a bien longtemps, une jeune femme en costume traditionnel breton danse avec ses prétendants, les épuisant jusqu’à la mort, se refusant à devenir leur épouse. Quand vient le tour du dernier garçon, elle meurt à son tour, coupable de n’avoir pas voulu adhérer à une norme sociale, celle de se marier et d’avoir des enfants. La morale vient d’une légende traditionnelle bretonne, mais le thème est le fil conducteur de Non ma fille… : choisir liberté et indépendance serait dommageable, l’hédonisme n’étant pas au programme d’un certain menu déroulant de la vie.

De cet argument, Christophe Honoré a tiré le portrait d’une femme abîmée mais pas victimisée, qui souffre de ses velléités d’intervention autant qu’elle se donne pour but d’avancer, et le fait de la plus belle manière qui soit, en plaçant constamment face-à-face douceur et violence des sentiments : la révolte de Léna qui se fond dans la bucolique Bretagne, des retrouvailles émouvantes entre sœurs en contrepoint d’une dispute conjugale, un voyage en amoureux en réponse à des tensions mère-fille. Et questionne subtilement l’instinct maternel, pas forcément automatique. Car avant d’être mère, on est surtout femme. Faire passer le soi avant les autres : presque un tabou, d’autant plus au sein de la cellule familiale, mais qui s’avère parfois la plus grande des libertés.
 

Titre original : Non ma fille, tu n'iras pas danser

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Durée : 105 mn


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