Les Nerfs à Vif (Cape fear)

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Les Nerfs à Vif (Cape Fear) est le parfait exemple du simple film de commande sublimé par le scénario et la mise en scène d’un réalisateur qui tente par tous les moyens de s’approprier une œuvre étrangère à son univers. Les Nerfs à Vif, c’est le parfait exemple du remake ne se contentant pas seulement […]

Les Nerfs à Vif (Cape Fear) est le parfait exemple du simple film de commande sublimé par le scénario et la mise en scène d’un réalisateur qui tente par tous les moyens de s’approprier une œuvre étrangère à son univers. Les Nerfs à Vif, c’est le parfait exemple du remake ne se contentant pas seulement de remettre au goût du jour une bonne histoire vieille de presque trente ans (l’original de Jack Lee Thompson, avec Gregory Peck et Robert Mitchum, date de 1962) mais creuse plus profondément la matière première pour y découvrir de nouveaux gisements narratifs et esthétiques bien plus précieux. Ainsi, de cette simple histoire de film noir d’un homme fraîchement sorti de prison qui revient tourmenter son ancien avocat par esprit de vengeance, Martin Scorsese et son scénariste Wesley Strick en tirent une odyssée religieuse subversive autour du thème de la culpabilité.

C’est que la vengeance, dans sa forme la plus basique, n’intéresse pas et n’a jamais intéressé le réalisateur d’origine italienne qui transforme alors l’ex-taulard Max Cady (Robert De Niro) en un « Ange Exterminateur » venu punir et juger les membres d’une famille américaine dysfonctionnelle. La balance morale s’en trouve alors déséquilibrée du fait que Max se pose ici en victime du système judiciaire et non comme coupable : « Max Cady est davantage que l’esprit de vengeance. C’est un esprit malin qui représente la peur et la culpabilité de chaque membre de cette famille. » (Martin Scorsese, Entretiens avec Michael Henry Wilson, Cahiers du Cinéma, p.168).

Pour insuffler cette dimension christique au personnage de Max, Scorsese place au centre du film le corps imposant et impressionnant de Robert De Niro, véritable bloc de matière brute bariolé de tatouages aux inspirations mystiques. Max Cady est le Terminator du cinéma de Scorsese, une véritable force de la nature, contre laquelle la famille Bowden va devoir lutter autant psychologiquement que physiquement pour accéder à la rédemption : « L’infidélité du père, la rage de la mère, le mépris que la fille ressent pour ses parents, tous les conflits sous-jacents entre les uns et les autres » (idem) vont remonter telles des bulles d’air pour enfin éclater à la surface. C’est pourquoi on retrouve dès le générique d’ouverture du film cette idée de la surface : une eau calme, légèrement trouble, à laquelle se mêle en transparence l’image d’un vautour fondant sur sa proie, puis le visage déformé de Max. Le Mal est tapi derrière la surface, emprisonné derrière celle-ci comme il l’est derrière les barreaux de sa cellule au début du film, et le reste du métrage va montrer la libération progressive de ce Mal, son émergence, sa propagation à la fois destructrice et salvatrice.

Max Cady apparaît donc pour la première fois à l’écran en investissant le cadre du bas vers le haut, signifiant par-là ce mouvement de naissance qui vient de se mettre en place. De plus, son dos nu et musclé arbore un immense tatouage représentant une croix chrétienne sur les extrémités de laquelle sont accrochées des balances portant les inscriptions « Vérité » et « Justice ». Max Cady n’est pas un simple taulard analphabète, c’est un homme de principes, un homme qui, à l’image de Jésus Christ, porte sa croix tout en essayant de faire entendre la raison aux êtres humains. A ce titre, le plan de sa sortie de prison est absolument superbe, soulignant le caractère « messianique » du personnage : alors qu’il s’éloigne du bâtiment d’un pas décidé, le ciel au-dessus de sa tête est noir et le tonnerre gronde au loin. La colère du Tout-Puissant est avec lui et s’apprête à inonder le film de toutes parts.

Si le milieu du film est un peu plus conventionnel, montrant les membres de la famille se terrer dans leur maison, la fin est absolument grandiose, grandiloquente, démesurée. Les Bowden se réfugient sur le bateau familial, pensant échapper à leur persécuteur, mais celui-ci va déclencher une tempête divine et organiser le procès final de la famille. Le visage brûlé, boursouflé, déformé, pas si loin du Christ mis en scène par Mel Gibson dans La Passion du Christ, Max Cady juge son avocat puis le déclare coupable d’avoir failli à son devoir. Les éclairs déchirent le ciel et l’eau est totalement déchaînée, à l’image du personnage. Après un affrontement très violent avec Sam Bowden, Max Cady finira par mourir (mais meurt-il vraiment ?) en effectuant le chemin inverse : lentement, tout en déclamant des prières en hébreu, il s’enfonce sous la surface de l’eau, sans peur, les yeux grands ouverts, tout comme le Terminator de Cameron sorti la même année. Le Mal a réintégré sa place initiale, tapi dans les profondeurs, à guetter, prêt à émerger pour juger, punir et pardonner.

« Tout homme doit traverser l’enfer pour atteindre son paradis. » Et lorsque l’enfer se nomme Max Cady, le paradis devient d’autant plus difficile à atteindre. Amen.

Titre original : Cape fear

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Durée : 128 mn


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