24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi

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Sujet délicat, film maladroit.

Le 13 février 2006, Ilan Halimi, vingt-trois ans, est retrouvé gisant le long d’un chemin de fer à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il succombera de ses brûlures, de ses nombreuses blessures, de la faim et du froid, sur le chemin de l’hôpital. Son calvaire a débuté vingt-quatre jours plus tôt, le jour de son enlèvement par des jeunes de son âge, ceux que l’on appellera ensuite « le gang des barbares » mené par Youssouf Fofana. Pendant ces vingt-quatre jours de captivité, la famille d’Ilan va recevoir des centaines de coups de téléphone : insultes, demandes de rançons incohérentes et autres menaces. Vingt-quatre jours de silence, également, imposé par la police judiciaire qui pense à un enlèvement crapuleux et ne se doute pas un moment que véritable motif du kidnapping réside dans le délire antisémite de Fofana et de ses complices.

C’est le premier film sur l’affaire Halimi qui sortira cette année, suivi dans quelques temps par Tout, tout de suite de Richard Berry. Deux adaptations littéraires pour deux choix opposés : si Berry s’intéresse au livre du même nom de Morgan Sportès, quasi étude sociologique des ravisseurs, Arcady, lui, se tourne vers le livre de Ruth Halimi, la mère d’Ilan car, pour reprendre ses mots, « en France les bourreaux sont plus connus que les victimes ». Alors, drapé dans sa décence filmique et fort de la maxime « les bons sentiments font les bons films », le réalisateur va nous dire la « vérité » sur le « martyr » Ilan Halimi. Ce qui explique, pour une certaine part, le peu d’intérêt que présente ce film.

Car il faut bien distinguer deux choses : le sujet du film, fait divers horrible s’il en est, et le film lui-même. Le fonds et la forme, comme on a l’habitude de dire dans les devoirs sur table de fin d’année. Critiquer le second ne revient évidemment pas à minimiser l’impact du premier. Commencer une critique par un avertissement est un peu triste, voire complètement ridicule, mais il arrive de plus en plus souvent que des cinéastes se servent de leur histoire-basée-sur-un-fait-réel-du-coup-c’est-vrai-du-coup-c’est-bien comme d’une tête de Méduse : pétrifier pour mieux neutraliser les éventuelles attaques. Pourtant il faut appeler un chat un chat et un mauvais film, un mauvais film. Et malheureusement, un bon film d’Alexandre Arcady, c’est un peu comme les ours polaires, ça se fait rare.

Si l’on s’en tient  à la mise en scène, le constat est vite fait, 24 jours se situe quelque part entre Julie Lescaut et Le jour où tout a basculé, dont il reprend les témoignages face caméra en ouverture et en clôture (on se demande ce qu’Alexandre Aja, à la tête de la deuxième équipe, est venu faire dans cette galère familiale). Si l’on se fie au dossier de presse, le réalisateur s’est donné comme maîtres mots sobriété et retenue. C’est pourquoi nous assistons à la multiplication de gros plans sur des visages défaits, à des assiettes qui tombent au ralenti au moment où Ruth Halimi apprend que son fils est retenu en otage, et à des personnages qui hurlent (faux) et pleurent (faux), toujours au ralenti, toujours sur une musique pathétique. Du côté du méchant de l’histoire, là aussi, la sobriété s’est bien cachée. Pour jouer Youssouf Fofana, l’acteur Tony Harrisson confie s’être inspiré des méchants dans les films américains et on sent bien qu’il balance ses « sale enculé » comme Joe Pesci balancerait ses « fuck » dans un film de Scorsese. Sauf que nous ne sommes pas dans un Scorsese et qu’un personnage limité à crier les deux seuls mots de vocabulaire qu’il est parvenu à mémoriser en trente ans ne présente à peu près aucun intérêt. C’est un barbare et le reste importe peu à Arcady. Fofana et sa bande ne sont que des décérébrés, ce qu’ils sont sans doute en réalité, venus de rien et de nulle part. La qualité du jeu d’Harrisson se mesure finalement au volume de bave produit à force d’éructer des obscénités par téléphone. Contre le volume de larmes versé de l’autre côté (même s’il faut sauver Zabou Breitmann, Pascal Elbé, Sylvie Testud et Jacques Gamblin).
 
Faire un film pas très bon, ce n’est pas grave, mais faire un film aux comparaisons déplacées, ce n’est pas bien. Pas besoin, en effet, d’avoir un doctorat en analyse filmique pour décrypter le « message » contenu dans ce film. A la fin de sa séquestration, Ilan Halimi a été rasé, jeté dans une forêt proche d’une gare, puis brûlé. A l’écran, cela donne Ilan qui court à moitié nu dans la forêt. Et un train qui passe. Lui qui court. Et un train qui passe. Et un train. Et un autre. Les fréquences de la ligne C sont passées de dix minutes à dix secondes. Si l’antisémitisme semble le motif évident de ce déversement de haine, Arcady agite le fantôme de la Shoah de la manière la plus maladroite et malheureuse qui soit. Ombre qui plane dès le début du film : après le repas de shabbat, le personnage de Zabou Breitmann est confortablement assise dans son canapé et feuillette un livre de Primo Levi. Sobriété, quand tu nous tiens. La police française peut s’estimer heureuse, elle passe certes pour une bande d’incompétents notoires mais au moins on ne lui fait pas le coup de Vichy. Arcady a beau jurer qu’il ne juge personne, son point de vue n’en est pas moins limpide, la sécurité n’est pas garantie dans ce pays où règnent la loi du silence, l’indifférence et la montée de la haine. A nouveau, ce n’est pas foncièrement sur le fonds que le bat blesse, mais sur un traitement désolant qui finit par desservir le film (ce qui n’est pas si grave) et surtout son propos (ce qui l’est plus).
A vouloir à tout prix créer un « choc mémoriel », toujours pour reprendre ses mots, Arcady a oublié de faire du cinéma.

Titre original : 24 jours, la vérité sur l'affaire Ilan Halimi

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Durée : 110 mn


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