Vincent Doit Mourir

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De « l’urban fantasy » à la « provincial fantasy » : La politique de la violence, de son inévitabilité, de la fuite et de sa nécessité.

Une Vimala Pons très authentique, codée en couleurs bleues. 

Une fois n’est pas coutume, commençons par parler du film que n’est pas Vincent Doit Mourir, long-métrage sélectionné à Cannes à l’occasion de la dernière semaine de la critique du festival. En premier lieu, constatons que ce n’est pas un film de graphistes : malgré le fait que le protagoniste, interprété par Karim Leklou, exerce bien cette profession, et malgré le fait qu’elle débute bien à l’intérieur de son logiciel Photoshop – sur un voyage labyrinthique à travers plusieurs rangées de vitres de buildings –, l’œuvre ne multipliera pas les FX générés par ordinateur, et elle n’a pas pour seul argument de vente une direction artistique soigneusement retouchée à l’aide de l’outil digital. Ses moments de bravoure – et ils sont tous, par ailleurs, plutôt mémorables et efficaces –, font la part belle à des métiers très pratiques et manuels du cinéma, qu’il s’agisse du travail d’un régleur cascades (Manu Lanzi), ou de celui d’équipes maquillage et décors, ces dernières ayant la charge de tout faire pour rendre féroces des scènes où, par exemple, le personnage de Vincent devra se battre violemment dans les fuites de sa propre fosse septique. Un duel à mort saillant et dérangeant contre un facteur, où viennent se mélanger toutes sortes de fluides corporels : de la merde, donc, mais aussi du sang, et du vomi.

En second lieu, ce n’est pas non plus une descente aux enfers. Ni même une montée vers ceux-ci. Car si la séquence d’introduction informatique travaille effectivement le lexique visuel de l’ascension, voire d’un ravissement corrompu, ou d’une pentecôte urbanisée, la suite de l’œuvre nous fera visiter des paysages plus champêtres, plus remplis de respirations. Et si le film commence bien avec l’énergie brute et directe d’un court-métrage, son rythme va se révéler plus retors qu’on pourrait le croire. Le film va accélérer et décélérer selon les obstacles, ou même les soutiens que Vincent finira par trouver sur sa route. C’est un univers à part entière que le réalisateur Stéphan Castang souhaite mettre en place pour le spectateur. Et cet univers vient avec son commentaire social, car nous ne sommes pas dans le récit de la simple escalade d’une situation anxiogène donnée vers son extrême logique. Le film ne va pas commencer sur une scène où Vincent est attaqué par une personne, pour se terminer sur une scène où il est poursuivi par des milliers d’assaillants. De fait, Vincent Doit Mourir est plus complexe que la version la plus épurée de son pitch que nous pouvons imaginer, mais il est également moins formé, moins parfaitement préparé à captiver à l’attention. Nous y reviendrons.

Enfin, n’en déplaise aux intentions apparentes de Castang, et de son scénariste Mathieu Naert, Vincent Doit Mourir n’est pas tout à fait une fable sur l’effondrement. Pas de façon pertinente, en tout cas. À la radio, des experts, des intervenants viendront régulièrement parler de la situation, et de la déliquescence de la société en général. Mais leur analyse est très incomplète et réactive, pour ne pas dire réactionnaire. Et le long-métrage n’aura pas nécessairement l’air plus informé qu’eux, alors qu’on regarde Vincent les écouter tout confondre : ils parlent d’incivilités alors qu’on sait qu’il s’agit d’agressions au couteau, à la hache et à la pelle. Tu parles d’incompétence ! Aussi, nominalement radical, Vincent Doit Mourir n’est pas l’inverse idéologique de la satire Kingsman : Services secrets non plus. En effet, dans le film du rebelle sans cause Matthew Vaughn, le dessein de l’antagoniste était de provoquer la chute de la société à l’aide d’ondes wifi, lesquelles avaient le pouvoir de rendre qui elles atteignaient violent, barbare et meurtrier. Ici, dans le version française, la cause de ce trouble comportemental dans la population ne sera pas expliqué. Mais on peut imaginer qu’un schéma similaire est à l’œuvre, puisque le stratagème qui permettra à Vincent de mitiger sa « condition », dans l’immédiat, sera de fuir à la campagne, loin de toute fibre optique. Et aussi de supprimer ses réseaux sociaux – histoire de « ghoster » toute personne qui aurait envie de le voir, et, donc, par conséquent, tout prochain agresseur potentiel. L’un dans l’autre, on comprendra de Vincent Doit Mourir qu’il n’est pas plein de choses, mais que ce qu’il est peut être résumé en trois mots : frappant, bombé, et surtout, confus. Les qualités sont évidentes, mais elles viennent avec une faille intempestive, celle d’un film beaucoup trop pluri-genres.

Une apparition de Jean-Christophe Folly, qu’on connait de Sans Filtre.

L’œuvre à laquelle nous fait le plus penser Vincent Doit Mourir est le récent Le Règne Animal, réalisé par Thomas Cailley, et sélectionné « Un Certain Regard » au même festival de Cannes. Comme Vincent Doit Mourir, Le Règne Animal est un film de lore plutôt que de folklore. Expliquons : tel que réapproprié aujourd’hui par les fans de jeux vidéo, de syfy et de fantasy, le terme lore désigne le contenu d’un univers de fiction qui n’est pas strictement essentiel à l’articulation de son récit premier, ni à l’expression de son ambiance narrative. C’est, par exemple, ce qui s’est passé dans un monde longtemps avant la naissance des personnages qu’on suit, et ce qui s’y passera longtemps après leur mort, et que les chroniqueurs les plus assidus prendront soin de noter dans des frises chronologiques. Dans les meilleurs des cas, le lore servira à une œuvre pour la rendre plus vivante et crédible, car habitée, contextualisée dans un univers construit intelligemment. Dans les pires des cas, c’est-à-dire dans les formes qui se prêtent le moins à avoir du lore (mettons, des films originaux d’environ 2 heures), ce dernier les lourdera fatalement; les rendra titubantes sous le poids d’organisations et de hiérarchies dystopiques parallèles à la société, comme celles qui ont fait les beaux jours du genre young adult (districts, factions de divergents… tout le monde y est allé de son épice personnelle). Dans Le Règne Animal et Vincent Doit Mourir, on en est pas encore tout à fait là, mais on s’en rapproche : ces films souffrent du fait qu’on ait complexifié leur simplicité, puis simplifié leur complexité (!) Dans Vincent, les Sentinelles (c’est le nom que se donnent les gens victimes d’attaques spontanées inexpliquées) sont apparues il y a deux an et semblent avoir commencé à se réunir, en secret, il y a un an. Ils ont mis en commun des savoirs qui aident à leur survie, mais les débuts de réponse qu’ils devraient maitriser, le film les élude, les relègue sans s’en soucier au hors-champs. C’est trop facile, mais surtout, c’est contre-intuitif : comment les Sentinelles peuvent-elles à la fois trouver de la force dans des vies marginales, rejetant les technologies de télécom, et maintenir leur propre forum d’entraide ? Sur quels serveurs ? Comment ont-ils pu construire/investir leurs propres « refuges » ? Comment ceux d’entre eux (Vincent) qui ne chassent pas se nourrissent-ils ? Avec quel argent, puisque la plupart des activités salariées leurs sont désormais inaccessibles* ?

Partant du principe que devenir Sentinelle, ça peut arriver à tout le monde, même à des scientifiques (surtout à des scientifiques : la « malédiction » semble avoir le goût de l’ironie, elle prend un malin plaisir à s’abattre sur des petites vies bien rangées, que ce soit Vincent, graphiste inadapté à la vie hors-agglomération, ou Joachim (Michaël Perez), ancien prof de fac), et, constatant que les Sentinelles ont leur propre appli, le spectateur devrait arriver à une conclusion. Soit, Vincent devrait finir par mieux comprendre ce qu’il lui arrive, soit, il devrait être furieux de ne pas mieux comprendre ce qu’il lui arrive. Il passera de bons moments avec la galérienne Margaux (Vimala Pons), mais le désintérêt du film à donner une clé sur sa situation finit par devenir sien. Ainsi, comme Le Règne Animal, Vincent Doit Mourir devient le microcosme d’un macrocosme qui n’existe pas, et, ce faisant, il souffre d’être trop plein alors qu’il prend pourtant son temps. Il perd à être ni une montée, ni une descente aux enfers, et s’il arrache en chemin des plaisirs sanguinolents, ainsi qu’une observation judicieuse (la première scène de foule meurtrière a lieu dans un Super U, ce qui rappelle les clients zombifiés du centre commercial chez Romero, dont Castang se dit tributaire), il fruste au final à être un peu français, un peu hollywoodien, avec seulement de rares moments où le mélange est bien dosé. Comme Le Règne Animal, c’est un film qui esquive, qui fuit. Vers l’élément terre (la forêt) pour Le Règne, et vers l’élément eau (la mer) ici. Enfin, comme Le Règne Animal, il finit malgré tout par contenir une unique belle scène d’effondrement, dans un money shot, vers sa fin (Spoiler pour les deux œuvres : Dans le premier, c’est la scène de rafle des humains-nimaux. Dans le second, c’est la rixe généralisée sur une nationale). Nous ne l’expliquons pas autrement que par le fait qu’il s’agit de scènes où la confusion dans le récit est égale à confusion du récit. Le fond finissant toujours par ressembler à la forme, nous le répétons, Vincent Doit Mourir est trois choses : il est cuisant, cinglant, et, surtout, confus**.

*On pourrait évoquer des facilités en plus de ces flous. Les raccourcis sont les meilleur amis du film de lore, car ils nous donnent des points de repère (renormalisation de l’anormal) pour aborder cet univers. Ici, on pense surtout à Sultan (jouée par Suzy), le chien le plus facilement dressé au monde.

**Voire, de fait, réactionnaire, puisqu’il ne propose pas une grille de lecture mais un sentiment à chaud : un malaise général, qui fait dire à qui le ressent que tout va de travers.

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