En parlant de croisière, il y a celle que nous propose le Suédois Ruben Östlund, déjà palmé d’or à Cannes en 2017 pour son décapant The Square, magnifique satire sur le monde de l’art contemporain qui en a fait s’étouffer certains et pas de rire. Il remet le couvert en compétition avec son nouveau film, Triangle of Sadness – vous comprendrez pourquoi en voyant le film -, traduit en français par un titre aux gros sabots bien sûr, Sans filtre. Et, à la surprise générale, le jury présidé par Vincent Lindon lui a décerné la Palme d’or. Un grand progrès par rapport à la Palme de l’année dernière même si, encore une fois, on se demande si le Prix récompense vraiment le cinéma et pas seulement la provocation et le scandale. C’est un film en trois parties qui commence très fort puisqu’il attaque frontalement le monde de la mode et son esclavagisme des mannequins masculins. Le début est très rock and roll et semble aussi cynique que The Square dans la description de la vacuité de notre monde et de ses mondains snobs, en fait seulement vulgaires. La première partie, après avoir brossé le tableau de la société dans laquelle il va nous immerger, les ultra-riches pour résumer, nous propose un hilarant – mais particulièrement réussi – repas entre Karl le mannequin et sa petite-amie botoxée, Yaya, influenceuse en vogue. Cette séquence comique touche bien sa cible. La deuxième partie consiste en la description d’une croisière dans un yacht pour milliardaires à laquelle participent Karl et Yaya qui y a été invitée pour en faire la promo sur son Instagram riche en followers. Ruben Östlund ressemble de plus en plus à un moderne La Rochefoucauld dans sa manière acide de dépeindre ses contemporains. La tempête va aider à casser l’ambiance cosy de cette croisière en dévoilant les mesquineries et les vomis de ces riches, le tout scandé par les citations de Marx débitées dans le micro de bord par un capitaine marxiste et un multimilliardaire russe, et s’achèvera par un lancer de grenade terroriste qui détruire le yacht, devenu une sorte de Titanic de pacotille. La troisième partie nous montre les rescapés du naufrage, dont Karl et Yaya, sur une île qu’ils croient déserte. Les subalternes, quant а eux, pensent avoir pris le pouvoir, mais l’île cache un autre secret qui ne rend pas le film très optimiste. On rit beaucoup, c’est vraiment très provoc, même si le réalisateur n’a pas peur de forcer un peu trop le trait. Ce qui est surtout gênant finalement, c’est la longueur du film (2h20) qui le rend parfois un peu lourdingue et lui fait perdre de son sel et rater sa cible. Télérama se demande si c’est une satire politique hilarante ou un pétard mouillé. On serait tenté de répondre : les deux monseigneur. En tout cas, un petit vent de révolte semble monter du côté des cinéastes. C’est aussi ce que dénonçait d’ailleurs le deuxième jour du festival, mais en des termes plus choisis, James Gray lors de sa conférence de presse : « Regardez le monde. Que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé au point où deux personnes possèdent tout, où une poignée d’autocrates tente de s’emparer de la planète ? »