Ma vie avec John F. Donovan

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A défaut de gravir les marches du festival de Cannes, Xavier Dolan en gravit une de plus dans sa carrière en élargissant ainsi son public avec un film cru, hargneux et un brin provocateur.

Incroyable mais vrai…du Dolan à Hollywood

Avec Juste la fin du monde en 2016 et son casting 5 étoiles (Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard et Léa Seydoux réunis autour d’une table), le jeune prodige québécois Xavier Dolan marquait alors son entrée dans « la cour des grands », étant aussi jalousé qu’admiré. Il effectuait en réalité une transition de son cinéma d’auteur poétique et enivrant au tumulte hollywoodien, avec ses codes qui lui sont propres et qui semble au premier abord tant éloigné de l’univers de Dolan. 3 ans plus tard, le réalisateur revient sur grand écran avec Ma vie avec John F. Donovan, son premier film en langue anglaise.

Présenté pour la première fois au festival de Toronto en septembre 2018, Dolan introduisit le film par la lecture d’une lettre qu’il avait lui-même écrite à Leonardo Dicaprio, alors à l’affiche de Titanic, à l’âge de 8 ans. Bien plus qu’une simple attention touchante, cette lettre est le point de départ de son nouveau film, où le cinéaste se projette au travers d’un enfant engageant une relation épistolaire de plusieurs années avec une star du petit écran. Et les similitudes ne s’arrêtent pas là : comme Xavier Dolan, le jeune héros Rupert se révèle être un petit garçon solitaire déjà acteur à ses heures perdues, passant ses soirées devant la télévision à admirer son idole, John F. Donovan, tout en rêvant de célébrité. Rien qu’ici, la pâte Dolan se ressent par cet aspect autobiographique et rassure déjà les fans du réalisateur qui espéraient ne pas voir la nouvelle œuvre de leur idole perdre de sa singularité.

Plus loin encore, Ma vie avec John F. Donovan peut être perçu comme un aboutissement de tous les travaux de Dolan, tant le film fait la somme de toutes ses obsessions. On retrouve en effet un peu de Mommy (2014) au travers des relations mère-fils compliquées, un peu de Les Amours imaginaires (2010) quant aux relations impossibles ou encore des discriminations liées à l’homosexualité déjà évoquées dans J’ai tué ma mère (2009) son premier film. Un aboutissement certes pour Dolan, mais également une transposition pour la tête d’affiche du film, Kit Harington, incarnant la star John F. Donovan. En effet, qui de mieux pour incarner une star d’une série télévisée à succès et étouffant sous les feux des projecteurs que l’acteur fétiche de la série surmédiatisée Games of Thrones ? Kit Harington surprend par sa virtuosité, son regard qui en dit long, et se met parfaitement dans la peau de cette star qui semble avancer dans un monde flou et incertain où chacun de ses pas doit être mesuré sous peine de tomber.

 

 

En plus de la star du moment, Dolan s’est également offert Susan Sarandon et Natalie Portman en mères désabusées par les aspirations de leurs enfants respectifs, les relations mère-fils prenant une place grandissante dans le film. D’un côté, John et Grace (incarnée par une Susan Sarandon explosive) se déchirent autant qu’ils ont besoin l’un de l’autre, le tout marqué par la honte et le mépris de John envers sa mère alcoolique. De l’autre, Rupert et Sam (Natalie Portman à contrario, tout en sobriété) passent progressivement de fusionnels à étrangers lorsque celle-ci, poussée par ses craintes de mère et ses propres rêves déchus, brise les rêves de gloire et de cinéma de son fils. Et au milieu de ce tourbillon dramatique, de ces scènes intenses de conflit à en faire battre le cœur, la caméra et le spectateur cherchent constamment la lumière de Jacob Tremblay, jouant le jeune Rupert. Ce jeune garçon s’exprimant mieux que la plupart des adultes et sermonnant Natalie Portman avec une tristesse infinie dans le regard porte à lui seul toute la colonne vertébrale du film et l’un des messages que le réalisateur semble vouloi faire passer : laissez-nous rêver.

 

 

Un film malade sur une société malade

Dans une scène mémorable du film, on peut entendre le remix du Sulk de Trust par Eight and a half. On y voit John dans un club, ivre d’alcool et de célébrité montante. Il se montre alors tel qu’il est, se défait des chaînes qu’il doit s’imposer pour prospérer. Un jeune homme l’aperçoit et se rapproche de lui puis sans transition, les voici dans un autre espace s’enlaçant, se caressant. La scène est simple, les paroles de la chanson parfaitement en adéquation et une incroyable énergie triste émane de cette étreinte. De la même manière un peu plus loin dans le film, on peut voir dans une longue scène au ralenti Sam et Rupert tentant de braver la foule pour se retrouver sous la pluie, le tout porté par Stand by me repris par Florence + The Machine.

Tempo, musique, lumière, montage, la magie Dolan opère même avec des musiques ultra populaires (on peut entendre dans le film du Adèle ou du Dalida) et des scènes ultra banales, voire clichées, pour mieux dépeindre la vie de star à Hollywood en 2019. Et manifestement, selon le cinéaste-de-même-pas-30-ans, il est encore difficile pour une icône masculine d’assumer publiquement son homosexualité sans que cela ait des répercussions sur sa carrière, puisqu’ici, la relation épistolaire de John et Rupert est salie et détournée par les médias au même moment que la révélation de l’homosexualité de John, qui tombe alors en disgrâce auprès des studios.

 

 

De plus, si Dolan fait le choix de raconter le destin des deux protagonistes par le biais de Rupert adulte (Ben Schnetzer) dix après la mort de Donovan, c’est pour appuyer davantage son propos d’une société corrompue en confrontant son personnage à une journaliste (jouée par Thandie Newton, quelque peu insipide) venant d’un autre milieu et ayant tous deux des préjugés l’un sur l’autre. Avec ce montage ingénieux alternant entre passé et présent, le réalisateur québécois nous pond ici un long-métrage frontal, magiquement audacieux et prévisible.

Durant au départ plus de 3h et éreinté par de nombreuses polémiques, Ma vie avec John F. Donovan, la première grosse production de Xavier Dolan, semblait être de toute façon une folie, un chaos assuré pour certains. Pourtant, c’est un film mystérieux que Dolan nous offre, en posant un regard à la fois passionné et critique sur un milieu qui l’a tant fait rêver avant qu’il n’en connaisse les rouages. Ode à l’innocence, c’est toujours avec le même amour pour le 7ème art que cette oeuvre dolanesque s’inscrit dans la continuité de la carrière du cinéaste, lui qui « à l’impossible est tenu ».

 

Titre original : The Death and Life of John F. Donovan

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Durée : 123 mn


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