Pour pouvoir se faire justice, Henry Price (John Steiner ), docteur de sa profession, va être contraint de sauver son ennemi, Tepepa (Tomás Milián), du peloton d’exécution, puis, de faire un bout de chemin en sa compagnie au cœur de cette chienlit sans équivalent que fut la révolution mexicaine. Opposition toute naturelle entre l’Européen froid et le Mexicain au tempérament un tantinet impulsif, alliance forcée prenant la forme d’ une épopée aux sentiments ambigus entre les deux hommes, la ligne directrice de Trois pour un massacre reprend celle d’ El Chuncho (Damiano Damiani, 1966) et préfigure les embardées d’Il était fois la révolution (Sergio Leone, 1972). Partageant, avec ces deux westerns emblématiques, la prouesse d’associer l’épique et le politique, le spectaculaire et le lyrisme, l’ouvrage de Giulio Petroni constitue ainsi l’un des magnifiques fleurons du western, et pas seulement à son échelle européenne.
Tomás Milián, figure indissociable du western spaghetti (Tire encore si tu peux, Saludos Hombre…), aussi à son aise dans un autre genre populaire qu’est le poliziottesco que dans des univers plus ambitieux : Bolognini, Bertolucci, Antonioni, livre ici une de ses meilleures interprétations. L’acteur, lui-même, placera son rôle, et plus largement le film, comme l’une de ses plus grandes réussites. Les premières apparitions de son personnage Tepepa, s’inscrivent dans un registre bouffonesque, un des traits saillants de son jeu que l’acteur a poussé parfois très – ou trop loin- dans les parodies policières de Bruno Corbucci, dans les oripeaux crasseux de l’officier Nico Giraldi. Rire sarcastique haut, nonchalance provocatrice, violence sans scrupule, comme Tuco (Eli Wallach) dans Le bon, la brute et le truand (Sergio Leone, 1966) , El Chuncho (Gian Maria Volonté) Juan (Il était une fois la révolution), Tepepa, le péon mexicain devenu hors-la loi par nécessité, et héros révolutionnaire par une forme de malentendu, se complait dans la vulgarité, le machisme – en tout euphémisme -, la violence, la puanteur, méprisant toute sorte et d’autorité. Derrière cette façade provocatrice, un humanisme apparemment insoupçonnable va rapidement nous le rendre attachant. Mais, contrairement aux illustres personnages/acteurs cités comme références, le Tepepa de Milián conservera une part sombre et des réflexes abjects qui ne manqueront pas de resurgir à des moments clés, notamment dans le final. Ni absous ni condamné, Tomás Milián confère une ampleur rare à cet archétype haut en couleur.
Price, le rigide et taiseux docteur Anglais, embarqué au milieu par une motivation uniquement personnelle constitue le contraste parfait à l’exubérance du bandit mexicain. Si John Steiner manque légèrement de charisme, il n’en demeure pas moins convaincant dans la peau de cet être brisé par le malheur. Tandis qu’ Orson Welles – qui n’a pas pris soin de mentionner ce film dans sa biographie – apporte sa carrure et son ambiguïté au cruel général mexicain. Une fois n’est pas coutume dans le genre, le personnage secondaire le plus intéressant est un enfant. Un gamin rendu orphelin par Tepepa qui va faire preuve d’une force de caractère exemplaire et se poser en future figure de la révolution.
Giulio Petroni, qui ne souhaite pas que son film porte l’étiquette western, ne cache pas son ambition politique. À savoir, prendre parti pour l’oppressé, sans forcément se prétendre de gauche, selon ses propos dans l’interview présent dans l’un des bonus. La longue ouverture sans parole qui montre la condescendance d’un blanc envers une famille mexicaine, les scènes dans les misérables lieux de vie, Tepepa souvent pieds nus, soulignent la misère des péons. La scène d’ouverture cité plus haut et celle de libération d’un groupe de mexicains ont sans nul doute été reprises en partie par Sergio Leone dans Il était une fois la révolution. Depuis Pour une poignée de dollars (1964) qui ne s’est pas privé de se calquer sur le Yojimbo de Kurosawa (1961) on a pu constater que Leone puise allégrement dans des réussites antérieures, sans pour cela que cela minimise son immense talent. Mais la comparaison entre Petroni et Leone démontre que le suc du western spaghetti ne provenait pas d’ une seule voix (et voie). La mise en scène de Trois pour un massacre dilate le temps – sans sombrer dans le contemplatif – pour laisser poindre l’émotion et nous offrir des saisissants tableaux d’un monde en déliquescence. On en oublierait presque les thèmes musicaux du maestro Morricone, qui savent se faire plus discrets qu’à l’accoutumée sans perdre de leur splendeur et efficacité.
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