L’Héritage des 500 000

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Sous couvert d’une intense chasse au trésor de guerre, Toshiro Mifune, baroudeur dans l’âme, remue les fantômes de l’invasion des Philippines par l’empire du soleil levant et l’esprit vivant du charnier de ses morts au combat. Inédit en tohoscope noir et blanc.

« L’argent est le nerf de la guerre » Cicéron

L’héritage kurosawien d’un humanisme épique

Est-ce le fait d’un simple narcissisme dans l’affirmation de l’ardente candeur de son ego ou l’effet pygmalion du mentor Kurosawa sur son acteur-fétiche ? L’héritage des 500 000 restera à la postérité comme l’unique film réalisé par Toshiro Mifune dont il sera dans le même temps l’acteur-phare et le producteur.

En soi, le sujet emprunte à son humanisme épique : l’odyssée de ce militaire nippon habité par le traumatisme du devoir de mémoire aux 500 000 soldats tombés sur les champs de bataille de la seconde guerre mondiale est un ressourcement truffé d’épreuves initiatiques qui se transforme en véritable parcours ducombattant faisant son purgatoire sur terre.

A charge contre son réalisateur, tandis que le sentiment patriotique et le devoir de sacrifice au pays qu’il exalte innerve son film, il occulte par là même la lourde implication japonaise dans les atrocités commises « manu militari » en vue de spolier ce trésor de guerre à la Chine, au Vietnam , à la Malaisie et aux Philippines.

Même si il n’est pas crédité au générique, Akira Kurosawa a, à l’évidence, post-réalisé ce film. Le recours fréquent aux volets latéraux de transition portent sa marque de fabrique. Mifune s’adjoint aussi la collaboration de son scénariste attitré depuis Rashomon (1950), Ruyzu Kikushima et celle de son directeur de la photographie Takao Saito jusqu’à sa scripte.

 

 

Toshiro Mifune, un héros aux démêlés picaresques

Le format scope laboure la jungle phillipine dans sa latéralité, balaie le panorama des rizières en terrasse de la cordillère et explore les sierras qui dissimulent le trésor amassé par l’armée impériale japonaise au prix de terribles exactions sur la population philippine que la transe patriotique du héros aux démêlés picaresques réussit à faire oublier.

Ancien survivant d’un corps expéditionnaire de l’armée nipponne dans l’île de Luçon de l’archipel des Philippines durant les hostilités contre les Alliés en 1942, l’ex-commandant Matsuo (Toshiro Mifune), dirigeant d’une modeste entreprise, est enrôlé de force pour superviser un quarteron de mercenaires
insubordonnés mus par le seul appât du gain et à la solde de Gunji (Tatsuda Nakadai), homme d’affaires intrigant, influent et madré, secrètement acoquiné à la CIA.

Ayant conduit une opération de camouflage de pièces d’or dans un lieu d’enfouissement connu de lui seul, Matsuo est contraint par la menace de guider l’escouade à l’endroit précis de sa cachette.

Entravée par la rapacité de ses membres et leurs motivations antagonistes, l’expédition connaît de multiples retournements de situation dans sa difficile progression.

 

 

 

Un butin problématique et un legs encombrant

Loin des chimères des épopées guerrières du « senseï », le film interroge le fait de guerre et l’héritage des « marufuku », ces pièces d’or estampillées ironiquement de l’idéogramme « bonheur », devient vite un butin problématique autant qu’un legs encombrant qui brûle les doigts comme un bien mal acquis
déshonorant la mémoire des soldats morts au cours de son transfert.

Cérémonieusement martial et guindé, Matsuo/Mifune est raillé par ses compagnons uniquement guidés par l’attrait factice et le leurre de l’or et peu décidés à s’encombrer de sentimentalité larmoyante à l’égard des veuves des défunts à qui Matsuo destine le pactole exhumé en dernier ressort.

En reprenant du service dans les entrailles de la jungle philippine,Matsuo effectue une plongée initiatique sur lui même, une mise à l’épreuve, véritable catabase,où il fait acte de résilience et comme table rase de ce passé envahissant ; rongé qu’il est de s’en être sorti tandis que tant de ses frères d’armes y sont restés.Il entend faire la démonstration de sa haute valeur éthique et rallier à sa cause, dans le même temps, ceux qui se refusent désespérément à voir le bien-fondé de sa quête intérieure dans les rangs de ses kidnappeurs.

Le jeu tout en colères et crispations rentrées de Toshiro Mifune laisse deviner l’ébullition de chacun de ses nerfs tendus à l’extrême et l’agitation de chaque pensée vibrant derrière sa tempe.Le héros réduit au silence se joue de la poltronnerie facétieuse de ses gardes du corps obnubilés par la possession de cet or tant convoité et si volatile qu’un glissement de terrain en a déplacé l’endroit où il était enseveli.

Parvenu au terme du périple philippin dans la vallée des enfers où niche le trésor, Matsuo s’incline sur la mémoire des soldats dont les restes gisent dans la terre: « Ce sont sans doute les âmes des soldats qui dorment dans ce sol qui m’ont aiguillonné jusque là » prophétise-t-il.

A l’âpreté de cette tranche de vie d’ancien baroudeur militaire immergé au coeur de guérillas sanguinaires et à son emphase patriotique,un jeune yakuza de ses gardes lui oppose les rigueurs de l’après-guerre ; lui prêtant volontiers un discours dépassé d’ancien combattant : « la guerre, vous vous en gargarisez mais l’après-guerre a encore été plus dur à vivre ».

 

 

Le trésor de la sierra ou la face immergée de l’or sale du général Yamashita

La réussite financière ne vaut rien si elle est dictée par la seule cupidité et comme telle doit être entachée d’inhumanité. C’était déjà le postulat de Les salauds dorment en paix (1960) où Akira Kurosawa évoquait l’hydre d’une corruption tentaculaire des milieux affairistes mafieux zaibatsu gangrenant souterrainement l’économie nipponne.

Ici, c’est l’argent ou plutôt l’or sale des conquêtes hégémoniques nippones en Asie qui aiguise les convoitises dont celle du perfide Gunji (Tatsua Nakadai) tirant les ficelles depuis son activité d’import-export qui n’est qu’une façade de respectabilité pour mener ses affaires lucratives.

Le pillage en temps de guerre et la mise à sac et en coupe réglée des pays de l’Asie du Sud est une page honteuse de l’expansionnisme conquérant du Japon car il remonte à l’invasion de la Mandchourie en 1931. Et le film attaché aux seuls ressorts d’une action aventurière bien menée ne s’y attarde pas. Il est
seulement fait mention de l’or du général Yamashita au détour d’une allusion de Gunji prêt à toutes les vilenies pour récupérer le butin aurifère des « ronds de bonheur » ; allant jusqu’à précipiter la mort de son propre frère dans l’opération.

Les pièces d’or ne sont que le menu fretin et la face cachée d’une fortune colossale aux ramifications souterraines insoupçonnées détournée par les plus hauts dignitaires impériaux japonais impliquant l’empereur Hirohito et sa famille, le président de l’archipel des Philippines, Ferdinand Marcos jusqu’à la
gouvernance américaine d’occupation conduite par le général Mac Arthur et le président Truman. Dissimuler le trésor dans toutes les excavations de terrain philippin et l’enterrer dans les localisations les plus incongrues faisait partie d’un plan concerté en haut lieu : « l’opération lys d’or ». Si le Japon perdait militairement la guerre, il ne la perdrait pas financièrement.

Le commandant Matsuo répondait aux ordres du général Yamashita en charge du transfert par voie maritime des richesses pillées ou de leur ensevelissement sur place en des points de localisation tenus secrets. Des alliances troubles entre un agent de la CIA et l’industriel véreux Gunji scelle le dénouement du film dans la crique où mouillait le bateau de l’expédition. L’or tant disputé sera détourné de la visée humanitaire de Matsuo et viendra alimenter une mystérieuse caisse noire de fonds occultes. Au fond de tout patriotisme, il y a la guerre. Le patriotisme a au moins ceci de bien : le héros ne sait jamais qu’il est mort pour rien sinon pour défendre ses convictions.

Rétrospective Akira Kurosawa/ Toshiro Mifune en 11 films à partir du 17 avril :

L’Ange ivre, Chien enragé, Vivre dans la peur, Le Château de l’araignée, Les Bas-Fonds, La Forteresse cachée, Les Salauds dorment en paix, Yojimbo, Sanjuro, Entre le ciel et l’enfer, Barberousse

 

Distributeur : Carlotta

Crédit photos : L’HÉRITAGE DES 500 000 © 1963 Toho Co., Ltd. Tous droits réservés.

Titre original : Gojūman-nin no isan

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Durée : 98 mn


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