Zabriskie point

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Implosion ontologique et explosion apocalyptique. Dénuement et frustration, puissance et utopie. Le chemin vers un rêve transformé en cauchemar.

Zabriskie Point est l’expression cinématographique d’une émulation à l’intensité magmatique. La puissance du style d’Antonioni régale et irradie d’un rayon furtif et aveuglant le début de la décennie des années 70. Un astre qui ne cesse d’impulser luminosité et ombrages sur Le Nouvel Hollywood en proie à une libération propre à son essence : l’énergie. « L’on pourrait envisager les films du Nouvel Hollywood, non plus d’un point de vue générique, chronologique ou auteuriste, mais à l’aune presque exclusive d’un mode de dépense énergétique spécifique. » (Jean-Baptise Thoret, Le cinéma américain des années 70, Cahiers du Cinéma, p.120)

La mise en scène en oxymore rend palpable l’énergie. Antonioni s’attèle à découvrir les tiraillements, les blessures, les frustrations et les incarnations du rêve de contre-culture. Lorsque Daria fait tout exploser mentalement dans une séquence culte rythmée aux notes de musiques de Pink Floyd, la liberté n’a t-elle jamais été aussi concrète que dans le final chaotique fantasmé par Daria ? De fait, la liberté existe t-elle ? Le désir d’assouvir une pulsion destructrice brisant l’équilibre du monde, énonçant un plaidoyer nihiliste, un furieux bras d’honneur contre les futilités mercantiles et marchandes d’une Amérique se prostituant pour mieux survivre, oubliant le visage de sa moitié, n’a t-il jamais été aussi prégnant, émouvant et hypnotisant que la conclusion de Zabriskie Point ?

L’œuvre d’Antonioni explore des ressources stylistiques basées sur l’intermédiaire, l’entre deux. Le film, comme les protagonistes, est à fleur de peau. Zabriskie Point est viscéralement un film qui peut se comprendre comme un corps dépecé. Les nerfs, le flux sanguin du film, les battements du cœur de l’œuvre… Tout est précieux puisque sur le point de disparaître. Les symboles de la révolte (les étudiants, Marc, Daria) revêtent différents oripeaux : les manifestations au charme profondément pathétique et innocent symbolisées par une frêle barricade de chaises empilées maladroitement les unes sur les autres pour empêcher les forces de l’ordre de pénétrer l’université, l’envol d’un être dans le ciel pour se tenir (déjà) au plus près de Dieu, l’irruption mentale d’une violence jusqu’alors inusitée mais d’une inconséquence terrible puisque fantasmée. Aussi belles ou courageuses puissent être les démarches de chacun pour s’affranchir, l’invisible et l’abstrait ne brisent par l’écorce de la réalité pour avoir une incidence sur le présent. Le désordre engendré, aussi précieux puisse t-il être, n’est qu’une anecdote personnelle. L’haleine d’un mouvement d’une telle envergure en est réduite à sa plus simple expression : l’individu ou le communautarisme.

L’interrogation du film sur les différentes figures du pouvoir, économiques et politiques, trouve une résistance vouée à l’échec. Une destinée romantique dans l’excellence de l’échec et de l’utopisme. La fracture sociale, dans Zabriskie Point, s’exprime insidieusement dans les jump-cut du débat étudiant au début du film. Les lacunes valident l’idée d’une révolte et périment le succès d’une Résistance d’emblée divisée et quasi fantomatique. L’euphorie se teinte d’un onirisme doux-amer. Le montage éclate la notion de point de vue pour travailler la perte de repères et déconstruire l’image et le plan, et concrétiser une création originale face aux normes du montage cinématographique. La résonance de leurs propos se cristallise dans le vide. La mort se manifeste une première fois, invisible. Un rêve mort-né. La société ne changera pas…

Trois assassinats. La mort rôde et frappe dans l’ombre d’un coup de fusil. Une cruelle perte de l’innocence. Seule la séquence du désert conjugue vide, paix et temps suspendu. Le lieu vierge devient le lit gigantesque de l’amour et de l’insouciance. La manifestation d’une liberté vécue comme un échancrement pluriel. L’unique expression d’une unité dans toute l’œuvre grâce au plaisir. Doux et beaux rêveurs, symboles d’une volonté politique et sociale autre, les racines du combat plantées dans le terreau d’une colère libertaire contre les inégalités a été corrompues par l’apolitisation de leur fureur. Le combat et ses velléités, la passion pour l’Autre ne trouvent, aujourd’hui, qu’un vain écho. Les sacrifices de ces martyrs furent inutiles…

Titre original : Zabriskie Point

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Durée : 95 mn


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