Un illustre inconnu

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Bien mené, bien réalisé, bien interprété : Un illustre inconnu aurait pu (aurait du) se << contenter >> d´être un thriller efficace et enlevé. Mais l´ambition, qui suinte à chaque scène ou presque, d´en faire << plus qu´un bon divertissement >> lui confère malheureusement un côté artificiel et prétentieux.

La première séquence d’Un illustre inconnu pourrait presque résumer à elle seule toutes les qualités et les limites du film. On y voit le héros du film se présenter en voix off. Il s’active méthodiquement à préparer ses affaires, puis laisse un incroyable message téléphonique : il est sur le point de se donner la mort. La caméra prend alors du recul, nous ne verrons l’explosion de la maison que de l’extérieur. Puis flashback. Bien plus tard, nous saurons si cette séquence d’introduction était ou non le dénouement de l’intrigue. Le procédé est bien structuré et produit son effet, la mise en scène est millimétrée, dense, intense, haletante. Les images sont travaillées à l’extrême : le teint sombre, les couleurs morbides, le grain inquiétant, le cadre étriqué renvoient une expression mortifère. La voix off omnisciente tire volontiers sur la corde du mystère, comme la promesse d’un récit à nul autre pareil. Alors oui, à la fin de la séquence d’introduction, on est pressé de savoir. Cette facilité ostentatoire, cette insistance à vouloir mettre en scène un personnage qui lui-même met en scène sa dernière scène, celle de sa mort : génie ou pure prétention ?
 

Le récit est structuré en trois parties. La première nous permet de faire connaissance avec le héros. Sébastien Nicolas est un être taciturne, morne, sans vie. Célibataire asocial, agent immobilier sans ambition, caractère neutre, voix mollassonne, regard absent : son quotidien a tout du long calvaire, inlassable train train qui use le corps et érode l’esprit. Sébastien Nicolas n’existe pas vraiment. Ou plutôt, pour exister, et c’est là son secret, il doit prendre possession de l’identité d’autrui : se grimer, reproduire la gestuelle et la voix, s’approprier la vie des autres. Il chasse ses proies comme un prédateur de grands espaces, consacrant tout son temps libre à préparer minutieusement ces instants de folie existentielle pendant lesquels, en tout point similaire à ses victimes, il leur vole quelques minutes de leur vie. Ses actes n’ont aucune portée criminelle. Il s’agit jute d’une poussée identitaire, comme si son esprit lui conjurait de quitter ce corps qu’il n’a jamais réellement habité. Inquiétante pathologie, pulsion de vie où l’appropriation de l’identité d’autrui procède d’un jeu de massacre existentiel.

Le récit prend de la vitesse lorsque Sébastien Nicolas rencontre un violoniste anciennement adulé, désormais solitaire et misanthrope. La cible parfaite, la victime ultime… Il y a quelque chose de touchant dans la frénésie de Sébastien Nicolas à s’acharner sur sa nouvelle proie, à le voir évoluer toujours sur un fil, toujours à la limite de la catastrophe, animé par une ardeur presque poétique, obsédé par l’idée de ne plus être lui pour exister, convaincu que tout ce qui n’est pas lui est meilleur, fasciné par ce vieil homme froidement banal et tristement détestable. Ironie ou simple naïveté, il ne voit pas la condition pathétique du violoniste qui lui aussi, à sa manière, a déjà cessé de vivre. Les destins des deux protagonistes s’entremêlent dans un chassé croisé de haut vol, bien mis en valeur par le savoir-faire de la réalisation et l’interprétation toute "en immersion" de Kassovitz. La densité des personnages et l’intensité du récit nous rappellent aux bons souvenirs des meilleures réalisations françaises de ces dernières années (Ne le dis à Personne (Guillaume Canet, 2006), Pour elle (Fred Cavayé, 2008),…).

 

La dernière partie du film, amorcée grâce au retour sur la séquence d’introduction, n’est pas du même standing. Un illustre inconnu a le malheur de se perdre complètement en route, quittant le sillon du thriller haletant pour rejoindre avec infortune le mélodrame psychologico-métaphorique… On comprend vite la prétention universaliste des auteurs. Faire de cette histoire unique une histoire où tout un chacun pourrait se reconnaître, où l’éthique de l’humain est sublimée ; Nicolas Sébastien se donne la mort et donne la vie à un corps dont le "propriétaire" avait cessé de vivre il y quelques années déjà. Ce faisant, il parvient à s’élever moralement en allumant l’étincelle d’humanité qu’il a probablement toujours cherchée, au gré de sa quête désespérée.

Une bien belle morale mais trop évidente, trop ostentatoire, percutée en plein vol par le manque de simplicité de la mise en scène. Les dialogues perdent de leur force, le personnage principal s’égare, les mises en situation deviennent artificielles, prévisibles, parfois nanaresques. Le film "s’écoute" beaucoup, se "regarde" un peu trop. Finalement, on n’oubliera certes pas le rythme et la maîtrise évidente de la première partie du récit. Mais on restera sur l’obsession de la dernière partie à donner un sens à chaque image, à imposer une symbolique universelle à la trajectoire du héros, qui confère au film une morale un peu nombriliste et prétentieuse. Dommage donc, car il n’y a pas besoin de tout cela pour faire de bon films. Au contraire même, parfois cela gâche tout…

Titre original : Un illustre inconnu

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Durée : 120 mn


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