Ce serait d’ailleurs vite oublier que le caractère grotesque et boursouflé de ses personnages, le cinéaste le travaille depuis ses deux derniers films, Gomorra (2008) et Reality (2012), tous deux couronnés du Grand Prix au Festival de Cannes. Si ces deux précédents opus (une fiction ultra-réaliste sur la mafia napolitaine d’une part ; une satire de la télé-réalité d’autre part) semblent a priori extrêmement éloignés de ce Tale of Tales, tous trois scrutent pourtant l’homme dans ce qu’il a de monstrueux, et possèdent tous une empreinte visuelle forte. Cette empreinte visuelle est ici poussée à son paroxysme, presque jusqu’au vertige : il y a que les contes choisis par Garrone s’y prêtent tout particulièrement. Une reine stérile prête à tout pour tomber enceinte, y compris à demander à une vierge de cuisiner le coeur d’un monstre marin chassé par son roi de mari ; un roi libertin qui tente à tout prix de séduire une jeune femme dont la voix l’ensorcèle, avant que l’on se rende compte qu’elle est particulièrement vieille et laide ; et un roi mélancolique qui se prend d’affection pour une puce, la couvant jusqu’à ce qu’elle atteigne la taille d’une petite voiture, jetant au passage sa fille dans les bras d’un ogre.
On peut ne pas adhérer au style – l’ensemble est aussi impressionnant que parfois assez moche et indigeste -, ce n’est pas très important. Tale of Tales se regarde comme on feuillette un livre d’images, un recueil de contes fantastiques – à la différence qu’ici, s’il y en a qu’on aime moins que d’autres, on ne peut pas tourner la page plus rapidement. Il faut pourtant s’en remettre au sérieux avec lequel Matteo Garrone tricote ses histoires, soucieux d’extirper du genre fantastique un style qu’il pourrait faire sien. Il n’y parvient pas tout à fait, et son Tale of Tales se perd parfois dans les méandres des labyrinthes qu’il a lui-même tissés, mais le film finit par tirer son épingle du jeu quand, dans un dernier mouvement extrêmement ludique, il donne à ses vignettes des airs de compétition, comme pour interroger littéralement son titre : quel serait, en fin de compte, le conte ultime, le conte des contes ? Ce sera au spectateur de trancher quand, en toute fin, tous les personnages se trouvent rassemblés dans une arène qui n’est pas sans rappeler le podium final d’une partie de Mario Party – rappelant que, même exécutés avec un grand respect, les contes sont surtout faits pour rêver.