DVD Carlotta Films
C’est alors qu’il est approché pour réaliser ce qui sera SA trilogie Shakespearienne, l’adaptation de trois monuments : Henry V (1944), Hamlet (1948) et Richard III (1955). Pour résultat, trois films qui resteront comme des modèles du genre, tant par leur aspect théâtral assumé et revendiqué que par l’assimilation des procédés cinématographiques, le tout pour donner un savant mélange, riche et passionnant.
Carlotta, en même temps qu’ils fêtent leurs dix ans de succès mérité, réédite aujourd’hui le troisième volet de la trilogie : Richard III. Il aurait été intéressant d’avoir droit à une sortie de la trilogie dans l’ordre mais réjouissons-nous déjà de trouver en dvd un film tel que celui-ci, ce fait étant encore trop rare en France. A noter, la sortie chez Koba Film d’une autre grande adaptation de pièce, pas Shakespearienne cette fois-ci, celle (enfin !) du Becket de Jean Anouilh par Peter Glenville sorti en 1964 avec Peter O’Toole et Richard Burton.
Comment adapter une œuvre aussi dense que Richard III pour le cinéma, avec ses longues tirades, ses monologues et ses apartés ? Laurence Olivier réalisait son premier film avec Henry V, grâce à sa connaissance du rôle et des enjeux de la pièce. Il en fut de même avec les deux autres films, où il reprit à chaque fois le rôle titre.
Les mauvaises langues diront que le film que nous évoquons aujourd’hui semble être une pièce théâtrale filmée, rien de plus, contrairement au Becket que nous évoquions, à la grammaire cinématographique plus marquée. Seulement, le parti pris d’Olivier n’est pas ici de s’écarter d’une écriture théâtrale et de l’adapter au cinéma, bien au contraire. Ce qui fait la force d’un tel film, c’est justement sa capacité à rentrer en plein dans la dynamique théâtrale, tout en lui donnant l’intimité d’un film. La caméra n’est pas ici un regard omniscient, elle est le public. Les apartés théâtraux deviennent donc de parfaits « apartés cinématographiques ». Le premier monologue de Richard III, alors encore Duc de Gloucester, en est une preuve formidable. Nous sommes alors dans une logique spatiale et temporelle propre au théâtre, la caméra ne coupe pas. Un long plan séquence entre nous, spectateurs, et Laurence Olivier, dont la performance n’est pas plus à vanter tant elle crève l’écran dès les premières secondes et aura influencé nombre de comédiens s’attaquant à des rôles de personnages aussi crapuleux que celui de Richard, Duc de Gloucester.
Le film n’aurait pas toute la mise en abyme qui lui donne un caractère si particulier si Carol Reed, un des réalisateurs pressentis pour s’atteler à la trilogie, l’avait mise en scène. Olivier est ici scénariste « adaptant », metteur en scène et acteur principal. Cette mainmise sur tout ce qui touche à la dramaturgie permet d’épaissir son personnage. C’est ce dernier qui nous place, nous indique, nous montre et nous prend à parti. A l’instar de la pièce, Richard explique les évènements passés et enjeux à son public. Seulement, l’outil cinématographique transcende l’espace scénique. Quand il nous est impossible de bouger en tant que spectateur au théâtre, la caméra dévoile, décortique, s’enfonce dans les couloirs et nous ouvre les fenêtres, au propre comme au figuré, de la fameuse « Guerre des Roses ». En effet, fort d’une caméra Vistavision, caméra de 35mm à défilement horizontal pour un gain en information sur la pellicule au format « panoramique », et d’une intelligence dans l’alternance entre focales à court foyer et à moyen foyer, un cadre théâtral nous est donné. La caméra peut, à partir de là, tout nous montrer. Ainsi le metteur en scène n’est pas seulement derrière la caméra mais bel et bien devant. A noter donc cette scène où il fait défaillir le roi Edward IV et ces volets que Richard ouvre pour montrer le fruit de sa mise en scène. Rendez-vous compte, le pouvoir est total : notre homme est derrière la caméra et dirige ses comédiens pendant qu’il est Duc de Gloucester devant la caméra, à influer sur notre champ de vision et de compréhension, et manipulant aussi bien le roi que ses sujets!
Il devient alors intéressant de savoir les peines éprouvées par Laurence Olivier à mettre en scène la bataille finale. Déroute d’un roi comme d’un réalisateur. Richard III hurle « My Kingdom for a horse! » et Olivier invoque l’esprit du grand Einstein afin de mener ses ambitions à terme. Rassurez-vous, le réalisateur s’en tire bien mieux que son personnage…
Quel privilège de pouvoir mettre la main sur des œuvres comme celle-ci. Nous sommes ici face à un mythe fondateur, c’est là certes le paroxysme du théâtre filmé, mais le réalisateur semble revendiquer ce statut et lui trouver une identité propre, à mi-chemin entre deux disciplines à la fois si proches et si lointaines.
Le travail de numérisation est de très grande qualité, les couleurs sont restituées à la perfection. Le son, malheureusement, préserve cet aspect très «criard» que l’on aurait apprécié voir un peu maté, le film s’adressant au grand public, qui n’a pas forcément la chance de disposer d’un matériel sonore de haute qualité. On regrette aussi l’absence de sous-titres anglais, qui auraient permis de dévorer un texte aussi riche que celui-ci, et des bonus un peu maigres, entre un film promotionnel d’une quinzaine de minutes et un bel entretien sur l’histoire de l’interprétation de Richard III.
Un film passionnant néanmoins qui, malgré son âge et sa longueur, dispose d’un souffle et d’une élégance qui ravissent aujourd’hui encore.