Géométrie variable
Tentant d’appréhender un inconnu qui le suit, Roberto Tobias (Michael Brandon), un musicien de Rock, devient son assassin présumé. Qui est la proie, qui est le chasseur ? Comme à l’accoutumée, Dario Argento ne s’embarrasse d’aucun préambule avant de lancer un Whodunit meurtrier dans lequel la logique et la raison passent au second plan. Les multiples péripéties servant principalement de laboratoire pour exploiter le potentiel des espaces sonores et visuels. Courses poursuites en extérieur ou dans des intérieurs désertés, scènes de cauchemar, face-à-face sanglants, on retrouve ici les situations préférentielles du maestro italien, autant de terrains de jeux pour libérer sa créativité. Dans sa mise en scène opératique, Quatre mouches de velours gris se singularise par une approche inattendue de la bande son, si on se réfère à l’approche habituelle d’ Argento. En effet, tout en faisant appel à Ennio Morricone, un compositeur au style lyrique et immédiatement reconnaissable, le metteur en scène en minimise considérablement l’empreinte. De même, alors que le personnage principal est musicien de Rock (qui plus est batteur), les effets de battement sont relativement rares, notamment lors des scènes de poursuite, généralement beaucoup plus vibrantes et assourdissantes. Les silences résonnant alors d’une façon plus inquiétante. Les changements brutaux d’échelle de plan créent d’autant plus le trouble qu’ils contribuent à la surpuissance du meurtrier. D’une façon plus spécifique et récurrente ici, le travail sur le cadre redouble d’ingénuité pour réduire l’espace et donc sceller le sort des victimes. Parmi les différentes situations de confinement, on reste toujours bluffés, cinquante ans après la sortie du film, par la traque dans un dédale labyrinthique où les décors semblent se resserrés. Une scène qui a pu inspirer Kubrick dans Shinning (1980). Comme John Carpenter (qui a toujours reconnu fièrement avoir « piqué » des idées à son confrère Italien) a probablement apprécié tout le potentiel d’un meuble ou d’une cabine de WC lorsqu’il s’agit de protéger artificiellement le ses futures victimes. (Re) découvrir Argento est une nécessité absolue pour mieux appréhender tout un pan de ce cinéma de genre.
Désirs
Corps mutilés, lieux lugubres et déserts, figures inquiétantes, le climat est bien évidemment le plus souvent lourd et anxiogène, mais Argento, qui n’a jamais manqué d’humour par ailleurs, multiplie plus que d’accoutumée les occasions de détendre l’atmosphère. Relativement décontracté, malgré la menace permanente qui pèse sur lui, Roberto Tobias fait appel à trois drôles d’oiseaux pour veiller sur lui. Un ours mal léché, au doux nom de Dieudonné, interprété par un Bud Spencer fidèle au personnage de ses comédies avec Terrence Hill. Pour compléter l’équipe : un clochard élégant qui se fait appeler Le professeur et un détective pour le moins décalé (Jean-Pierre Marielle). Si ce dernier cabotine lourdement, à l’instar des grossières caricatures Gay que le cinéma des années soixante-dix produisait sans vergogne, il s’inscrit néanmoins dans une approche décomplexée des pulsions érotiques. Figure centrale de la valorisation du libertinage, le personnage de Roberto, dont le buste glabre dénudé est sensuellement mis en lumière en maintes occasions. Le rocker suscite autant les regards masculins que celui de la jolie cousine de son épouse. Si son propre désir homosexuel restera de l’ordre du fantasme -la peur de la castration revenant en boucle dans un cauchemar de décapitation-, il acceptera sans sourciller la proposition de la jeune cousine, lors d’une scène de baignoire digne des scénographies « naïves » de Just Jaeckin. Après L’oiseau au plumage de cristal et Le chat à neuf queues, ce troisième volet de la trilogie animalière se révèle moins tonitruant que les deux précédents nommés. Un calme tout relatif avant ses chefs-d’œuvre horrifiques de la deuxième moitié de la décennie.
Éditions DVD et Blu-Ray disponibles chez Carlotta dès le 2 mai.