Mama montera à quatre reprises l’escalier. C’est un escalier très simple, menant du rez-de-chaussé à l’étage, droit et étroit. La variation opérée par Naruse autour de la montée est discrète : une hésitation, une caméra, qui, placée derrière le personnage et non devant, comme pour l’empêcher de retourner en arrière, comme pour l’enfermer dans le cadre. Ces escaliers mènent aux bars à hôtesse du quartier de Ginza, où travaille Mama (Hideko Takamine, magnifique).
Portrait de femme au détour d’un escalier
Quand une femme monte l’escalier commence presque comme un film noir : la voix off de Mama accompagne les plans d’une rue ensoleillée, avant de cadrer un passage étroit où se concentrent des bars, comparés à des femmes sans maquillage. Avant d’être un corps, Mama est une voix. Ces plans récurrents sur la rue, doublés de son commentaire en off, nous renseignent sur la condition des hotesses en les comparant à d’autres femmes. Non pas par rapport à une quelconque position sociale où à un métier que Mama préciserait, mais par rapport à celle des hommes: avec qui repart-on le soir ? Et quel transport prend-on pour rentrer chez soi le soir ? Ces plans de rue portent les thématiques du film : les apparences et le rapport intérieur/extérieur. Et ces plans de l’escalier, le cloisement des espaces dans le Japon des années 50. Pour Mama, monter l’escalier, c’est accéder à un lieu où elle doit mettre de côté ses états d’âmes et revêtir un masque. Qu’importe si l’un de ses clients a poussé une de ses amies au suicide et envoyé un fonctionnaire à son enterrement pour s’assurer du remboursement de ses dettes, sa réputation et celle du bar priment.
Le film de Naruse est travaillé par un constat amer sur la condition des femmes. Pessimiste, le cinéaste ne croit pas au désir d’indépendance de son héroïne. Les femmes sont toujours dépendantes des hommes, car ils sont les seuls à détenir le pouvoir grâce à leur statut social ou leur argent. Quant aux femmes, celles-ci ne peuvent en disposer librement. L’argent gagné est toujours destiné à n’être que temporairement entre leurs mains: il faut le dépenser pour se payer des kimonos (sauvegarder les apparences) ou rembourser les dettes. L’argent détermine toutes les relations sociales, jusqu’à être source de tensions aux sein de la famille. Mama comprend peu à peu qu’elle est seule et que le choix qu’elle avait à faire n’était qu’une illusion. D’où ce dernier plan, magnifique et amer, où les apparences gagnent. Il n’est pas interdit de penser au dernier plan de Sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder, car, bien que les significations de ces plans soient très différentes, l’enfermement d’une femme dans son propre rôle est commun aux deux fins. Commençant à l’automne pour s’achever au printemps, Quand une femme monte l’escalier n’aura pas été le changement désiré par Mama, mais la consolidation d’une chrysalide qui n’est pas prête de se fissurer.