Parfum de femme (1974)

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Dino Risi nous fait visiter l’Italie à travers les yeux d’un aveugle et les femmes qu’il va rencontrer. Drôle, déchirant, « Parfum de femme » laisse mélancolique de par son ton. Risi et Gassman admiratif de par leur maîtrise.

Parfum de femme, c’est l’histoire d’un voyage. Un voyage d’une semaine en Italie, de Turin à Naples, en passant par Gênes et Rome. L’histoire de Ciccio (Alessandro Momo), jeune militaire de 18 ans qui a pour mission d’accompagner l’ex-capitaine Fausto, aujourd’hui aveugle, dans ce périple de sept jours. Mordant, irascible et lunatique, ce dernier, joué par un Vittorio Gassman justement récompensé à Cannes, est intenable et ce malgré son infirmité. Il ne marche pas, il court ; il ne boit pas, ne mange pas, mais se goinfre ; et il faut l’entendre rire… Son rapport avec les femmes est au diapason et c’est là qu’intervient ce magnifique titre, « Parfum de femme ». Aveugle, il reste que son odorat est particulièrement développé, surtout quand il s’agit de repérer une femme. Blonde, brune, grosse poitrine, fesses rondes… Fausto ne se trompe que très rarement et son appétit est énorme. Le rôle de Ciccio – beau personnage malheureusement rendu bancal par une voix off hors sujet –, se limitant au départ à tenir le bras d’un vieil aveugle, va très vite se transformer en celui d’entremetteur abordant pour des prostituées de toutes sortes. Fausto va lui apprendre sa vision de la vie et le jeune homme va ôter petit à petit son uniforme de militaire pour se changer en ce qui se rapproche le plus d’un ami. Cette légèreté, cette vitalité, sont ce qui définit le mieux la première partie du film qui, à la manière de l’ex-capitaine, file à une vitesse folle. Les quelques scènes calmes, qui sont en réalité des scènes de transition entre deux villes (en train, en voiture) ou entre deux journées (hall d’hôtel, chambre), laissent à peine le temps de reprendre son souffle. Le cadre se resserre, le mouvement autour des deux personnages principaux ralentit, mais pour mieux exploser dans la scène suivante. Lumineuse, joyeuse et libérée, la première partie du voyage, sous l’étouffante chaleur italienne, est clairement solaire. Si cela marche aussi bien, c’est bien entendu grâce à l’incroyable interprétation de Vittorio Gassman, mais également à Risi et à l’écriture du personnage de Fausto. À aucun moment on rit de lui, mais toujours avec lui. Toujours il répète à qui veut l’entendre qu’il n’a que faire de la pitié des gens. Le rapport qu’a construit Risi entre son personnage et les spectateurs procède de la même logique.

Pourtant, quelque chose sonne faux dans cette bonne humeur ambiante et cette imagerie quasi idyllique de l’Italie : les yeux de Fausto. Il a beau être aveugle, il est difficile d’ouvrir plus grands les yeux qu’il ne le fait, et ce qui s’y trouve renferme l’essence même du film de Risi. Derrière le comportement extraverti de ce Fausto, ses coups de gueule, ses éclats de rire, se cache un homme terrorisé. Pas seulement terrorisé par la nuit continuelle, le fait de ne plus voir, mais par sa propre solitude, causée ou non par sa cécité. Au détour d’un bon mot, d’un sourire, ses yeux le trahissent et ce que Ciccio n’arrive pas à voir, Risi ne le loupe pas. Chaque gros plan semble l’isoler du monde et le placer seul avec cette tristesse qui peut enfin percer derrière son apparence d’éternel Don Juan. À force de rejeter pitié et compassion, Fausto n’aime plus personne. Il semble moins souffrir de sa cécité que de ce qu’il est devenu : un homme cynique et distant. Une très belle scène traite avec justesse le mal qui ronge Fausto. Sa rencontre avec son frère, un prêtre à qui il demande la bénédiction, qui lui dit envier les aveugles : « Eux seuls savent voir mieux que moi ». Si Fausto acquiesce, ce n’est pas pour ces mêmes raisons mystiques. Les aveugles selon lui ne voient pas les choses, mais les imaginent. Cette vision poétique de sa cécité n’est pourtant pas la sienne: « Moi je ne m’imagine rien, je ne me rappelle rien. Si je pouvais voir le monde là, je ne verrais guère que des pierres, le désert. […] Car moi aussi je suis une pierre ». Si un rapprochement entre cécité physique et spirituel (Fausto, par son renfermement, semble se punir de ses péchés) n’est pas totalement à écarter, cela ne semble aucunement être au centre du film. Le gros plan qui suivra la bénédiction que lui donnera son frère sera celui d’un homme perdu, apeuré et son regard au ciel, tout sauf extatique, profondément humain. Cette solitude était-elle déjà là avant qu’il ne devienne aveugle, ou bien s’est-il enfermé en elle pour se protéger lui, et ceux qu’il aime ? Le rapport aux femmes de Fausto est la clé de ces questions.

 
Une jeune femme l’aime. Profondément. Sara (l’éclatante Agostina Belli), la fille de l’un de ses amis, le colonel Vincenzo. S’il fait tout pour l’éviter, la vexer, la rejeter, c’est bien entendu pour la protéger. Aveugle, vieux… Pourquoi lui imposer ça alors qu’elle est si jeune ? Encore une fois, ses yeux le trahissent. La magnifique dernière demi-heure, huis clos moite à l’ombre du soleil de Naples, destination finale du voyage, peut se résumer à ce cache-cache déchirant entre Fausto et la jeune fille. Cette dernière espionnant ses conversations et lui, évitant d’être seul avec elle. Risi arrive pourtant à les rapprocher à deux reprises. Lors d’une scène où l’aveugle joue à colin-maillard avec les filles du colonel et surtout lorsqu’au clair de lune Fausto se propose de lire les lignes de la main des invités. Quand le tour de Sara arrive, la scène à l’écran est à l’image de leur relation. Champ et contrechamp se succèdent et à aucun moment ils ne se retrouveront ensemble dans le cadre. Tenant la main de la jeune fille, pour la première fois Fausto semble regarder dans la bonne direction et Risi arrive à nous faire oublier sa cécité. C’est yeux dans les yeux que Fausto refusera de lire l’avenir de Sara. Mamans, putains ou trop jeunes pour être putains, l’image que donne Risi des femmes dans la première partie de son film est totalement sauvée par le personnage de Sara. Quand Fausto, après n’avoir pu se donner la mort, lui avouera sa peur, sa détresse, ce n’est pas sa pitié qu’il va accepter mais son amour. Si le Faust de Goethe perd son âme pour une femme, le Fausto de Risi tentera de retrouver la sienne grâce à Sara. Risi, en rendant minute après minute son viril héros masculin si fragile, fera au final de Sara le personnage le plus fort de son film. Pourtant, quand dans le plan final on voit Fausto marcher tel un vieillard au bras de la jeune fille, une brève sensation s’empare de nous. Et si c’était encore cette peur d’être seul qui l’avait vu accepter cet amour… « Si je pouvais voir le monde là, je ne verrais guère que des pierres, le désert. […] Car moi aussi je suis une pierre ».

Titre original : Profumo di donna

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Durée : 103 mn


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