Minuit à Paris

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Allen en ouverture du festival de Cannes, c´est signe de très grand cru (« Match Point »). La cuvée 2011 est excellente. En ouvrant les portes du passé, il signe un film réjouissant et désopilant. Immanquable !

Comme il l’annonçait à la fin de son escapade espagnole – les héroïnes de Vicky, Cristina, Barcelona (2008) évoquaient leur futur passage en France avant de retourner au bercail –, Woody Allen poursuit son tour d’Europe au pays du coq au vin. S’il s’était emparé du flegme et du ton pince-sans-rire britannique (la superbe triplette Match Point, Scoop et Le Rêve de Cassandre) ou de la violence des passions ibères, son regard d’Américain sur les particularismes locaux s’en donne aujourd’hui à cœur joie sur les clichés français : bon vin et bonne chair, capitale carte postale et snobisme intellectuel émaillent le cru 2011. Et le maître se paye le luxe de faire intervenir la fine fleur – ou pas ! – de la gent féminine gauloise.

« Dès qu’il eut franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. »

Dans Minuit à Paris, c’est Owen Wilson qui revêt le costume du personnage que Woody Allen trimballe de film en film depuis ses débuts : séducteur, naïf, anxieux, incorrigible bavard, créatif et névrosé. Scénariste à succès qui s’essaie avec angoisse au roman, Gil Pender – nom dont on se plaît, chez Allen, à imaginer l’homophonie avec le monde du cirque – est en voyage avec sa fiancée dans la plus belle ville du monde. Le mariage approche et les doutes sont péniblement calmés à coup de valium. D’autant plus qu’outre les beaux-parents, il faut aussi s’enquiller le couple d’amis au mari pédant qui vous fait passer pour l’idiot de service. Dans de telles conditions, comment apprécier Paris, sa Tour Eiffel, ses quais, ses antiquités, ses visites guidées, sa pluie qui mouille mieux que partout ailleurs… Comment vivre au présent surtout quand on est obsédé par le passé ? Car c’est bien connu : c’était mieux avant. Heureusement, passé minuit, le Paris fantasmé des années 1920 surgit en Peugeot au coin d’une rue pavée et le futur mari, bien mal encouragé par sa femme dans ses ambitions, découvrira une ville cliché à la hauteur de ses rêves.

Dans l’idéal, il serait formidable pour tout spectateur de n’en savoir pas plus pour préserver la géniale surprise qu’est le film. Alignant les clichés, la bande-annonce joue pour une fois bien son rôle tant elle ne révèle absolument rien du film. Le thème est un classique allenien : la névrose de l’auteur face à la création et donc la vie. Mais si Minuit à Paris pourrait par bien des égards évoquer La Rose Pourpre du Caire, Woody Allen lorgne ici sur les plates-bandes de Ruiz ou Oliveira et fait surgir les fantômes du passé. Après tout, on est en France, pays du fromage et de Proust : l’histoire et la mémoire, on en connaît un rayon.

« Je vois… un rhinocéros ! »

Le réalisateur déjoue avec une aisance formidable tous les pièges et travers qu’on pouvait attendre d’un tel film, non pas en les évitant, mais en en faisant la matière même de Minuit à Paris. Les clichés – parisiens ou alleniens – sont donc jetés en pâture dès le premier plan. Après une brève intervention en voix off, il met les pieds dans le plat en nous offrant la Tour Eiffel. La partie diurne du film s’apparente assez naturellement à l’exploration touristique de la ville lumière au doux son de l’inépuisable logorrhée qui berce les films du cinéaste, ce flot de pensée quasi ininterrompu à mi-chemin entre confidences sur le divan et brèves de comptoir, profondeur et ridicule, Allen n’hésitant pas de temps à autre à se jeter quelques fleurs par l’entremise de son personnage principal.

La brochette d’acteurs, inquiétante sur le papier, n’est finalement là que pour elle-même : Carla Bruni en guide/ambassadrice du pays, Marion Cotillard en star très auratique dans ses volutes de fumée selon l’image qu’elle véhicule dans le cinéma américain, ou encore Léa Seydoux en représentante du « vrai » Paris et du cinéma indépendant. De même que la ville, chacun des personnages vaut moins pour lui-même que pour le cliché qu’il incarne dans l’inconscient collectif. Ainsi, lorsqu’il faudra faire appel à un détective privé, Allen n’ira pas le chercher dans le bottin, mais dans la rue et fera apparaître le limier que tout Parisien – et sans doute bon nombre de touristes – connaît : Duluc Détective ! Cet aspect-là s’était déjà senti dans Match Point ou plus encore dans Le Rêve de Cassandre, qui alignaient les situations convenues, attendues. Le film se déroulant sur un fil archi-prévisible, l’intérêt résidait alors moins dans le pourquoi ou le comment que dans l’observation de l’inéluctable : dépasser le récit pour observer l’émergence de l’humain. Emprunter des sentiers balisés, mettre en confiance pour mieux surprendre et réorienter le regard.

C’est de cela même qu’il s’agit dans Minuit à Paris : derrière les clichés touristiques et historiques, au-delà même de l’histoire abracadabrantesque et fantastiquement drôle – Woody Allen n’est peut-être jamais aussi bon que lorsqu’il joue, devant ou derrière la caméra, les magiciens malicieux (Le Sortilège du scorpion de jade, Scoop) – c’est l’angoisse d’une impossibilité à vivre qui passe. « Le présent est ennuyeux. », « génération vide et dépourvue de sens » entend-on dans le film. L’illusion d’un âge d’or est toujours un espace séduisant et confortable dans lequel se lover. Avec Minuit à Paris, Woody Allen ne fait que poser cette question qui le taraude depuis quarante-cinq ans : Gil parviendra-t-il à rencontrer la réalité ?

Avec Woody Allen comme guide, la capitale n’a jamais paru si fantasque. Minuit à Paris est un antidote au désespoir, une profession de foi servie par un guide spirituel aussi fin que facétieux, pour qui les déclarations d’amour se déroulent devant des lapins empaillés mais ne sont jamais aussi belles que derrière quelques gouttes de pluie. A soixante-quinze printemps, Woody Allen combat farouchement la nostalgie. Un exemple pour bon nombre de jeunes réalisateurs perdus dans des souvenirs qui ne sont pas les leurs… De la même manière que pour Match Point en 2005, on regrette déjà que le film soit seulement sélectionné hors compétition (c’est un choix du réalisateur) à Cannes tant on le verrait bien repartir avec un prix. Une palme de cœur ? 

Titre original : Midnight in Paris

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Durée : 94 mn


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