Le plaisir d’une circulation infinie du sens, et le jeu des déclinaisons : en plongeant dans le détail des éléments déployés par le récit, les images, la musique, les auteurs font apparaître les enjeux et caractéristiques principales du geste hawksien dans ce film, et la manière dont le jeu sera poursuivi, via déclinaisons à partir de Rio Bravo, dans El Dorado (1966) et Rio Lobo (1970). Nominations, inscriptions, dialogues, chants sont décortiqués. C’est qu’ils sont les supports privilégiés de la mise en branle d’un jeu de relations, et qu’ils ne cessent de livrer de nouveaux indices quant à la lecture du sens du film. Le développement sur les enseignes est éclairant à ce titre. La multiplication des détails inscrit une relation au genre qui, tout en construisant un arrière-plan (la ville et ses divers commerces, sans qu’on en voit réellement les commerçants, a quelque chose de vivace, de sensible), joue la carte de la discrétion, à la limite de l’absence. C’est que les choses doivent y être lues en filigrane, sans poids ni insistance : fondement de « l’évidence » caractéristique du génie de Hawks dont parlait Jacques Rivette. « Cette manière de repousser le cadre westernien dans l’implicite ou l’arrière-fond est une donnée essentielle du film » (p 41). Discrétion et foisonnement des possibles et des connections : « Dans cet ouvrage, Rio Bravo désigne selon le moment un film, une ville, une rivière, un saloon et une chanson » (p 60). Le dernier chapitre, consacré à la musique, analyse une modalité supplémentaire de l’art de la reprise inscrit à l’intérieur même du film : la plus sentimentale. Le film trouve aussi sa richesse dans la manière dont les musiques et chansons livrent quelque chose de la construction des relations entre les personnages, des enjeux propres au récit filmique, de la manière dont il se charge d’une culture du genre tout en se préservant un certain « détachement. »
Rio Bravo de Howard Hawks, de Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat, éditions L’Harmattan, collection Le Parti pris au cinéma, 2013, 126 pages.