Les Tontons Flingueurs, Les Barbouzes, Ne Nous Fâchons pas : La trilogie délirante

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En 1963, Georges Lautner réalise ce qui pour beaucoup demeurera son film phare, Les Tontons Flingueurs. La suite ne se fait pas attendre…

Les Tontons Flingueurs, ce véritable ovni dans le paysage du polar français de l´époque révèlera un style qui s’affirmera dans plusieurs films du cinéaste, mais dont certaines particularités (présence de Lino Ventura, Audiard aux dialogues, détournement d´un genre) permettent de se recentrer sur ces trois oeuvres que sont « Les Tontons Flingueurs » donc, mais aussi « Les Barbouzes » et « Ne nous fâchons pas », sortis lors des deux années suivantes.

Les Tontons Flingueurs (1963) : Entre tradition et modernité

Grand classique tardif de la comédie policière à coup de rediffusions télé massive, Les Tontons Flingueurs ne fit guère sensation auprès du public et de la critique lors de sa sortie, au point que Lautner entama dans la foulée son film suivant, Des Pissenlits par la racine, presque pour s’excuser. Adapté du roman de Albert Simonin (auteur de Touchez pas aux grisbi et Le cave se rebiffe, porté à l’écran par Sautet et qui formait une trilogie avec Les Tontons) l’intrigue classique du genre est progressivement dynamitée par Lautner, qui applique ici pour la première fois la formule de plusieurs de ses films à venir. Situations décalées (le vieux gentleman qui vient voir Ventura durant la fusillade finale), personnages plus loufoques les uns que les autres (mention spéciale à Claude Rich en fiancé précieux et surtout Robert Dalban en majordome pseudo anglais et ancien cambrioleur) pour un grand numéro comique.

Ça démarre donc sobrement, avec ce récit de rivalité et de succession chez les gangsters, pour peu à peu joyeusement se dérider, au point d’en oublier l’objet policier en plein milieu de film avec une séquence de beuverie mémorable où les bandes de Ventura et Blier se rabibochent. Contrairement aux apparences, le script (bien éloigné du livre, bien qu’adapté par Simonin lui-même) fut suivi rigoureusement et cette scène cultissime tournée le plus sérieusement du monde.

La réalisation de Lautner est pleine d’invention, parvenant à bien mettre en valeur les acteurs lorsqu’ils lancent les dialogues géniaux de Michel Audiard (avec des gros plans savamment distillés cachant la pauvreté ou l’absence de décor) et traduisant par l’image le côté décalé de l’ensemble avec pas mal de plans et de cadrages expressionnistes alambiqués, évoquant le cinéma d’Orson Welles. Casting grandiose, avec un Lino Ventura bien moins monolithique qu’ailleurs et qui se lâche comme rarement (la danse dans la maison pour éviter les balles), Bernard Blier en grande gueule trouillarde et son frère incarné par Jean Lefebvre. On retrouvera d’autres futurs habitués dans des seconds rôles comme Horst Franck et Venantino Venantini. Échec relatif à sa sortie, le film s’inscrira petit à petit dans l’inconscient collectif grâce à ses fameuses répliques notamment. Il ouvrira surtout la voie aux deux autres films réunissant la même équipe, le souvenir du tournage euphorique n’ayant pas été entamé par l’insuccès.

Les Barbouzes (1964) : bd ludique

Un an après Les Tontons Flingueurs, la même équipe remet donc le couvert, et c’est cette fois le film d’espionnage qui passe à la moulinette farceuse de Lautner. Si Les Tontons Flingueurs gardait une patine un peu plus classique en respectant sa trame de film policier malgré le délire ambiant, il en va tout autrement ici avec un scénario en roue libre et non dénué de baisse de régime. Cela est largement rattrapé par le foisonnement d’idées, de rebondissements et de ruptures de tons tous azimuts. La scène d’ouverture, avec son escalade de coups fourrés entre agents dans le train annonce l’esprit : tout est possible. La voix off farceuse, le texte faussement sérieux vantant les mérites du métier de barbouzes et la présentation loufoque des différents agents secrets, c’est quasiment la Rubrique à brac de Gotlib mise en image, et on se dit que le OSS 117 de Jean Dujardin doit bien plus au film de Lautner qu’aux romans ou films sortis à la même époque (Ventura arrogant et goguenard, le patriotisme second degré assumé, la photo du Général De Gaulle).

 

Se reposant beaucoup moins sur les dialogues d’Audiard, Lautner fait preuve de bien plus de maîtrise que sur Les Tontons et l’humour essentiellement visuel fait mouche à chaque fois : les pièges que se tendent les espions sont à mourir de rire (la chasse d’eau piégée de Lino Ventura), les moments totalement décalés hilarant (Mireille Darc qui se maquille comme si de rien n’était, en pleine baston dantesque) et l’invasion du château par les chinois (déjà une grande peur à l’époque) grandiose. Hormis Gotlib déjà cité, l’influence de la bd franco-belge est manifeste, et l’hystérie qui traverse l’ensemble évoque les planches les plus azimutées de Franquin, notamment l’album de Spirou et Fantasio QRN sur Bretzelburg, à l’intrigue d’espionnage tout aussi rocambolesque. Lautner, très en phase avec son époque au vu des éléments qu’il intègre dans ces films (ce que Ne nous fâchons pas confirmera), a très certainement plus que jeté un œil à ces œuvres, tant le parallèle semble évident.

On retrouve aussi, en plus amplifié et maîtrisé, plusieurs des aspects développés dans Les Tontons Flingueurs, ce grain de folie « bd » en plus, avec les cadrages alambiqués, les contre-plongées surprenantes très bd dans l’esprit, les purs moments expressionnistes et outrés à la Orson Welles…
Une nouvelle fois, le casting est exceptionnel en tout point. Lino Ventura (seul à être un tantinet sérieux et stoïque) est parfait en espion dur à cuire et touchant en séducteur maladroit, mais c’est surtout Francis Blanche, espion russe en roue libre, qui fait des étincelles aux côtés de Bernard Blier, diablement roublard en faux prêtre. Plongée au milieu du chaos, Mireille Darc montre des capacités de timing comique phénoménales, qui ne feront que s’améliorer dans ses films suivants.

Ne nous fâchons pas (1966) : Délire pop

Ce troisième film conclut en quelque sorte le cycle, Lino Ventura ayant décidé, après les excès de ce film, de revenir à des univers plus sérieux. Lautner reviendra bien à la comédie policière déjantée avec Laisse aller c’est une valse, mais celui ci sera plus imprégné de la forte personnalité « franchouillarde » de Jean Yanne et ne distillera pas le sentiment d’aboutissement de Ne nous fâchons pas.

 

Les situations entrevues dans Les Barbouzes et Les Tontons sont ici poussées dans leurs derniers retranchements grotesques. Une nouvelle fois, l’ouverture semble s’inscrire dans le policier classique, où un Lino Ventura voulant se faire rembourser une dette par Jean Lefebvre se retrouve confronté à un redoutable gangster anglais. Après cette mise en place parfaite, le film part totalement en roue libre avec un Lautner multipliant les situations les plus absurdes et les gags surréalistes. Le final vengeur, où la bande de Ventura multiplie les attentats farfelus contre l’Anglais, est assez inoubliable, les dialogues d’Audiard s’intégrant toujours aussi bien. Difficile en effet de garder son sérieux lors d’une séquence en voiture où Constantin, proposant de prendre le volant à Ventura qui vient de pulvériser un décor et multiplier les tonneaux , voit ce dernier lui répondre « Je peux pas quand je conduis pas j’ai peur ». La vague notion de réalisme et d’inscription dans un genre est ici totalement annihilée par un sentiment de liberté et de folie tous azimuts. Le film échappe finalement à sa nationalité pour lorgner vers les comédies et parodies psyché anglo- saxonnes qui inondaient les écrans, comme la série des Matt Helm, Notre Homme Flint, Modesty Blaise ou encore la première version de Casino Royale. Les ennemis anglais permettent d’ailleurs à Lautner d’aborder cet humour typique et d’orienter le film vers une pure ambiance « Swinging London », les hommes de main du méchant arborant de parfaits look de mods et roulant en mobylette sur une bande son rock psyché des plus réussie. À l’apogée du mouvement, autant musical que vestimentaire, Lautner prouve qu’en France aussi, on pouvait réaliser de grandes œuvres pop. Cette influence moderne se manifestera de nouveau dans Le Pacha, avec la bande son de Gainsbourg et un Jean Gabin s’aventurant dans des boites de nuit hippies.

Le casting parvient néanmoins à s’imposer malgré la furie de l’ensemble, Ventura, en gros sanguin faisant des efforts pour se contrôler (le titre y fait d’ailleurs référence) est parfait, tout comme le génial Michel Constantin (que l’on retrouvera à de nombreuses reprises chez Lautner) et Mireille Darc, bien aidée par un Audiard livrant quelques-unes de ses plus belles saillies :

« Dans ces poids-là, j’peux vous l’embaumer façon Cléopatre, le chef-d’oeuvre égyptien, inaltérable!
– Mais on vous demande pas de conserver, on vous demande de détruire!
– Ahh! Euuuh… j’vous proposerais bien le puzzle « le congolais » : 32 morceaux plus la tête. Ou alors le cubilot de Vulcain : 10 tonnes de fonte, quinze-cents degrés, et vot’ petit jeune homme se retrouve en plaque d’égout ou en grille de square.
– Non, NON! Ni en poignée de porte, ni en lampadaire, c’que j’veux c’est plus le voir, là!
– Mon ami tient un commerce
. »

Pas aussi maîtrisé que Les Tontons Flingueurs, moins cohérent que Les Barbouzes, Ne nous fâchons pas est pourtant le plus fascinant des trois films, installant la France dans l’esprit d’une époque, tout en gardant son identité propre. Peu s’y sont risqués depuis, dans le cinéma hexagonal, et aucun avec le génie de Lautner.

Titre original : Les Tontons flingueurs

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Durée : 100 mn


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