Les Saisons du plaisir (Blu-Ray paru chez ESC éditions le 06/09/2023)

Article écrit par

La chair n’est pas triste.

Revoir un film signé Jean-Pierre Mocky provoque immédiatement le rire ou le sourire. En connaissance entière de cause : le personnage médiatique et sa filmographie abondante (une centaine de films, tous formats confondus, pour le cinéma et la télévision) laisse toujours présager une satire mordante, où l’ironie et la caricature font fréquemment mouche, tel Voltaire dans ses contes et pamphlets. Dans un Mocky, nous retrouvons aussi des stars ou grands acteurs, entourés de seconds couteaux aux visages et aux expressions dignes d’un Bosch. Cinéaste de l’excès, jugé par d’aucuns comme excessif, tournant avec sa fougue, disposant souvent de moyens limités, Jean-Pierre Mocky (1929-2019) radiographia la France des Trente Glorieuses et de la Vè République sous toutes ses coutures : affairistes, politiciens véreux, journaux s’auto-censurant, syndicats véreux, français moyens en désarroi, ouvriers désinvoltes, secrets d’état ou de famille bien gardés sous peine de disparitions étranges, misère humaine, financière et sexuelle. Un grand Barnum, une comédie humaine couvrant 60 ans de réalisations. Un Mocky Circus, avec ses figures habituelles (Zardi, Abeillé, Stobac, Chauvaud, Toumarkine, Clami, Rémoleux), aux apparitions surréalistes mais tellement proches de notre quotidien. Une troupe d’envergure, avec ses comédiens osant le risque de tourner avec Mocky l’hérétique (Bourvil, Blanche, Serrault, Moreau, Poiret, Deneuve, Bohringer, Tissier, Dubillard, Barrault, et j’en oublie). Mocky ne respecte rien, ou si peu de choses : ni l’art, ni le sérieux, ni la morale, ni les bonnes mœurs, ni les cinglés du football les mordus de religion, ou les prosélytes des politicards.

Dans Les Saisons du plaisir, tourné près de Pézenas (Hérault) l’été 1987, un couple de centenaires Charles (Vanel) et Emmanuelle (Denise Grey) sont propriétaires d’une affaire prospère, la parfumerie Vanbert. Ils réunissent comme chaque année leurs cadres pour un séminaire dans leur beau château de l’Hérault, et chacun se demande qui va succéder au vieux Charles qui a décidé de convoler en noces et de profiter de la vie. La chasse est ouverte, prétexte à une galerie délirante d’obsédés du pouvoir, de l’argent, du sexe : Bernadette Lafont en mère protégeant sa fille en faisant un rempart de son corps ; Jean-Luc Bideau en goinfre ricaneur; Eva Darlan apprécie les bonniches du Midi; Darry Cowl en folle du jeune jardinier portugais que Fanny Cottençon a essayé de mettre à l’ouvrage, car son mari Jean-Pierre Bacri n’y arrive plus sans scénographie ;  Sylvie Joly et Stéphane Audran regardent des cassettes hard, tandis que Bernard Menez et Richard Bohringer se satisfont l’un l’autre. Deux monstres, qui n’oublient pas les enjeux de la prochaine retraite du couple des centenaires, surnagent dans cet océan de lubricité : Jacqueline Maillan, en call-girl de minitel rose mais héritière directe, et Jean Poiret, hypocrite et maitre chanteur.

Toutes ces situations prêteraient à rire si la centrale à proximité du château familial ne menaçait pas d’exploser. Peu s’en soucient toutefois. Et derrière la lecture première d’un film foutraque sur la gaudriole en huis clos, Les Saisons du plaisir reste un film dans lequel Mocky établit un bilan touchant, voire émouvant dans certaines scènes, de la vie de couple via leur intimité. La nature et la condition humaines sont considérés à travers ce regard si spécifique que pouvait avoir Mocky, accompagné par ses comédiens, regard par instants subtil qui, sous couvert d’une comédie grivoise et satirique, voire satyrique, se révèle une analyse pertinente de la société de la fin des années 80, où la libération sexuelle est passée sous la faux du SIDA. Malgré la crudité des propos tenus par les personnages, et les anaphores de termes grossiers en-dessous de la ceinture, le film décrit en arrière-plan des individus vicieux, certes, mais attachants.

Bénéficiant d’une photographie de qualité grâce à William Lubtchansky, d’une bande originale de Gabriel Yared (Mocky a toujours su s’entourer de grand techniciens, auteurs, et musiciens), d’une chanson guillerette, sans omettre une distribution 5 étoiles, Mocky signe avec Les Saisons du plaisir une comédie de mœurs burlesque, outrancière, mais pleine d’empathie. Viva Mocky ! Allez, moteur !

Les Saisons du plaisir (Blu-Ray paru chez ESC éditions le 06/09/2023).

Bonus :

Entretien avec Olivia Mokiejewsky
Entretien avec Bernard Menez
« Les Affiches grivoises du cinéma français » : entretien avec Jacques Ayroles

 

 

 

 

 

Lire aussi