Après le succès public et critique de son premier film La Vie de château (pour lequel il reçut le prix Louis Delluc), Jean Paul Rappeneau voit grand. Souhaitant frotter sa patte tourbillonnante à un contexte plus ambitieux, il s’attèle (épaulé par Claude Sautet) au scénario des Mariés de l’an II et souhaite y confronter un personnage extérieur aux multiples tableaux offerts par le contexte agité de la Révolution française. Le déclic quant aux tribulations de son héros se fera lors de recherches historiques, au détour d’une peinture montrant des couples faisant la queue pour divorcer à la mairie, ce droit étant inauguré avec le régime révolutionnaire. Après moult péripéties en amont (Julie Christie envisagée au côté d’un Warren Beatty enthousiaste finalement aux abonnés absents) et pendant le tournage (en Roumanie avec une équipe inexpérimentée, un dépassement des délais, une mésentente Jobert/Belmondo), Rappeneau se sortira de tous les écueils pour délivrer son film le plus abouti et spectaculaire.
Il était une fois la Révolution
Les Mariés de l’an II constitue en quelque sorte dans la filmographie de Rappeneau le deuxième volet d’une trilogie entamée par La Vie de château et conclue par Bon Voyage. Dans ces deux derniers films, le réalisateur s’appliquait à dépeindre une période historique française mouvementée, entraînant ses personnages dans un grand récit romanesque. Le souffle de l’aventure et le déferlement des péripéties n’entament cependant en rien la rigueur et la vérité de la description du cadre. Ainsi Bon Voyage, un des rares films à se dérouler dans une France de 1940 en pleine débandade, qui dépeignait avec lucidité la confusion du moment qui allait aboutir au régime pétainiste. Se situant durant la même période, La Vie de château montrait l’indolence et le détachement de la noblesse rurale face à la situation dramatique du pays. La comédie, l’aventure et le rythme effréné viennent heureusement toujours tempérer la noirceur de la toile de fond, en partie autobiographique pour Rappeneau qui fut témoin enfant de ces événements.
Il en va de même avec Les Mariés de l’an II qui nous fait remonter plus loin dans le temps à l’époque de la Révolution. Sous le regard détaché de Belmondo, on découvre donc un pays à feu et à sang rongé par les oppositions idéologiques. L’arrivée en barque du héros sur la côte nantaise laisse voir une jonchée de cadavres flottants. Plus tard, ce sera une ville de Nantes rongée par la famine où règne la suspicion d’un complot royaliste qui sera montrée. Suspicion qui entraîne procès et condamnation arbitraires comme va le découvrir à ses dépends Belmondo. Sans parler des décisions scandaleuses comme refuser du blé au peuple sous prétexte qu’il est douteux car provenant d’un supposé royaliste. Tout cela s’observe sous le trait d’un humour décapant (l’avocat de Belmondo qui, pour le défendre, l’enfonce encore plus pour bien paraître, grand moment comique) mais la virulence du propos demeure. La description de la noblesse réfugiée en campagne, détachée des réalités et à l’arrogance hautaine intacte sont tout aussi cinglantes. Volontairement, Rappeneau ramène les travers qu’il dénonçait dans les deux autres volets de sa trilogie au temps de la Révolution, puisque de tout temps les vraies personnalités se révèlent quand souffle le vent du chaos et de la tourmente.
Le rythme dans la peau
L’influence fondamentale du cinéma américain sur Jean Paul Rappeneau, largement visible dans La Vie de château se révèle dans tout son éclat avec Les Mariés de l’an II. Du propre aveu du réalisateur, il tenta de marier l’ampleur des westerns et films d’aventure d’Anthony Mann et le timing comique de Lubitsch. Objectif atteint, Rappeneau s’avére clairement sans égal pour offrir de la screwball comedy à la française et de l’aventure trépidante. Déjà en tant que scénariste, son écriture avait largement contribué à la vitesse et au ton picaresque de L’Homme de Rio. Durant le tournage compliqué du film, le producteur Alain Poiré tenta à de nombreuses reprises de faire couper certaines séquences du script pas forcément indispensables à l’avancée de l’intrigue. Refus poli mais déterminé de l’intéressé, maniaque de ses écrits, et pour cause. Chez Rappeneau, le scénario et le découpage (ici réalisé en amont pour le film entier) sont les partitions d’une symphonie trouvant son accomplissement dans la mise en image. Derrière le vent de folie de chacun de ses films repose une horlogerie suisse méticuleusement préparée, un château de carte qui s’effondre si l’on en retire le moindre élément. En ce sens, Rappeneau se rapproche des plus grands maîtres de la comédie (genre exigeant s’il en est malgré les apparences) puisqu’un Wilder, un Sturges ou un Lubitsch ne procédaient pas autrement.
Cette science du rythme se manifeste de diverses manières dans le film, à commencer par sa concision étonnante (1h35 à peine !) au vu de l’enchaînement infernal de péripéties et de retournements de situation. Rendue imperceptible par Rappeneau, l’absence de vrais morceaux de bravoure jouant sur les cascades de Belmondo (qui entrait dans sa grande période casse-cou « Bebel ») peut étonner. A chaque fois que l’occasion se présente pour le héros de mettre en valeur ses facultés physiques (grand argument publicitaire de ses films de l’époque), le réalisateur joue de l’ellipse. Le début du film où Philibert emprisonné à plusieurs reprises, va ainsi constamment jouer de l’ellipse pour ses évasions. L’usage du montage est des plus inventifs, comme lorsque Georges Beller le dissimule dans une armoire avant son exécution. Revenu le chercher, le meuble est vide. Vient ensuite cette séquence où Belmondo est enfermé seul dans un bureau d’où il observe de la fenêtre un jardin de roses. Un zoom avant en vue subjective nous rapproche de plus en plus des fleurs quand soudainement une main surgit dans le plan pour en arracher une. Il s’agit de Philibert qui poursuit tranquillement sa route, sans que l’on ait vu son escalade et sa descente depuis la fenêtre. Le fait d’y assister aurait ralenti l’intrigue et ne présentait pas d’autre intérêt que spectaculaire, inutile de s’y attarder.
Je t’aime moi non plus
Tout le début du film fonctionne ainsi sur ce ton alerte où nous sommes alimentés en informations sur le contexte, les personnages (la voix off truculente et si particulière de Jean-Pierre Marielle fait merveille), emmenés d’un lieu à un autre en un temps record. Ce n’est que lorsque l’enjeu principal reposant sur les retrouvailles entre Charlotte et Nicolas se joue que le film daigne ralentir. Alors qu’on avait à peine pu savourer la reconstitution fastueuse auparavant (superbes costumes de Marcel Ecoffier), Rappeneau offre le plus beau moment du récit avec la fête clandestine chez les nobles cachés en campagne. Tout se marie idéalement sans le moindre dialogue : la grâce de la mise en scène accompagne la danse endiablée des nobles, le cache-cache et le jeu de regards entre Belmondo et Marlène Jobert, le tout porté très haut par la musique romantique de Michel Legrand qui signait là un de ses meilleurs scores.
Les courses-poursuites, coups de griffes et gifles entre le couple vedette ne sont pas oubliés par la suite mais s’inscrivent dans une temporalité moins bousculée. C’est seulement là, lorsque la dramaturgie l’exige que le spectaculaire peut s’inviter. On aura ainsi droit à un duel à l’épée magistral entre Belmondo (forcément à son aise après le Cartouche de De Broca) et deux assaillants (l’équilibre entre les fracas des armes et la musique de Legrand est une nouvelle fois soufflante de précision), puis face au marquis ténébreux joué par Sami Frey. L’ironie peut alors s’estomper et les sentiments exploser, lorsque Charlotte si distante jusque-là fond littéralement lorsqu’elle pense Belmondo mort, oubliant ses rêves de noblesse pour courir au chevet de son homme. Le rapprochement final sur fond de bataille épique fonctionne de la même manière, le cadre chaotique du combat entre les armées française et anglaise servant d’obstacle à la réunion du couple (une hilarante scène de divorce en mairie avec un Bebel ahuri étant venue détendre l’atmosphère entre temps).