Antigone à Beyrouth
Inspiré du roman de Sorj Chalandon au titre éponyme, prix Goncourt des Lycéens en 2013, ce film nous parle encore plus maintenant que le Liban se trouve encore une fois écartelé par la violence et la guerre pour des raisons religieuses et idéologiques. Sorj Chalandon avait eu l’idée de réunir alors toutes les religions et les origines en plein Beyrouth pour monter l’Antigone d’Anouilh, cette pièce iconique qui parle de la lutte de la pureté contre les corruptions du pouvoir en place. Et ce quatrième mur, qui donne son titre à la fois au livre et au film, c’est celui, imaginaire mais qu’il faut tenter de briser, qui sépare les acteurs de théâtre du public.
Un mur invisible
Liban, 1982. Pour respecter la promesse faite à un vieil ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène Antigone afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. Les personnages seront interprétés par des acteurs venant des différents camps politiques et religieux. Perdu dans une ville et un conflit qu’il ne connaît pas, Georges est guidé par Marwan. Mais la reprise des combats remet bientôt tout en question, et Georges, qui tombe amoureux d’Imane, va devoir faire face à la réalité de la guerre.
Des acteurs au centre du drame
C’est un beau livre et c’est un film encore plus fort parce qu’il peut s’appuyer sur la puissance de la photographie de Guillaume Deffontines et le jeu des acteurs, en première ligne celui de Laurent Lafitte qui est pratiquement de tous les plans. Mais les autres acteurs sont également magnifiques et ultra présents, notamment Manal Issa qui interprète une fiévreuse Imane, qui fait bien revivre le personnage écrit et décrit dans le roman de Sorj Chalandon. Le réalisateur reconnaît lui-même tout ce qu’il doit à l’écrivain, soulignant ainsi les liens qui unissent à jamais le cinéma avec l’écriture dans ce mouvement qu’on a longtemps appelé la littérature comparée : « C’est un auteur qui me passionne. J’ai lu tous ses livres. Quand j’ai reçu un appel de Christine Rouxel, la productrice, qui venait d’acquérir les droits du Quatrième mur et me proposait de le porter à l’écran, j’ai dit oui immédiatement. Même si cette adaptation me paraissait être un vrai pari : c’est une histoire dure, âpre, un film compliqué à fabriquer… Mais je me suis senti connecté à Georges, le personnage principal, et à cette guerre civile du Liban qu’il traverse et qui m’a toujours intéressé, même si je l’ai toujours trouvé indéchiffrable. »
Les mêmes enfants, les mêmes morts
Ce à quoi, comme pour bien insister sur le désespoir et la tragédie qu’engendre un conflit sans fin comme celui que connaît depuis des décennies le Liban, Sorj Chalandon répond à son tour dans le dossier de presse du film : « Je ne me guéris pas en écrivant. Je veux tout garder : ma haine, ma colère, ma peur… Rien ne me libère quand j’écris. En revanche quand j’ai reçu avec ce livre le Prix Goncourt des Lycéens, que j’ai rencontré des élèves, je leur ai expliqué que, de ma vie entière, je ne me suis jamais senti aussi seul que quand je suis entré dans les camps de Sabra et Chatila. Certains de ces gamins, m’ont répondu : « Vous n’étiez pas seul, monsieur, on était là ». C’est pour cela que j’écris : pour que ces mômes qui jouent à la guerre avec leur Playstation, s’y sentent emmenés. Je ne veux jamais oublier les enfants de Chatila. Et ça aurait été la même chose si j’avais été à Damour, quand les milices palestiniennes ont exterminé ce village chrétien, ou aujourd’hui à Rafah. Il n’y a pas de discussion possible : ce sont les mêmes enfants, les mêmes morts. » Ces mots résonnent fort encore de nos jours alors que les yeux sont tournés vers toutes ces guerres sans fin… Le visuel : https://www.youtube.com/watch?v=FtKkSJdgkas