Le Pape François : un homme de parole

Article écrit par

Puissance de la parole.

La tête encore pleine des propos pontificaux de cet été (qui invoquaient la psychiatrie comme remède à l’homosexualité), on pourrait dire que le nouveau documentaire de Wim Wenders, consacré au pape François, tombe à pic.
Mais ce serait aller trop vite en besogne que de donner au film l’unique fonction de redorer le blason du Pontife, alors qu’il éclot dans un contexte plus large, celui d’un monde d’auto-destruction et de profonde indifférence. Touché par la figure qu’il incarne sous le nom emprunté de François (d’Assise), celle d’un homme profondément engagé à ouvrir le dialogue interreligieux, (si profondément certes que son service de communication n’hésite pas à recourir à un cinéaste de renom), c’est surtout l’occasion pour Wenders de faire entendre une parole sensible et sensée dans un monde manifestement en pleine dérive. Les nombreux voyages du Pape (camps de migrants, bidonvilles) tirés des archives vaticanes en accès libre pour le réalisateur, servent justement à dresser l’immense toile de fond de notre monde, la même que projette le Pape François sur la façade de la Basilique Saint Pierre en guise d’introspection personnelle. Entrecoupés aux déambulations d’un pape visiblement inépuisable, des entretiens filmés en un face-à-face troublant donnent l’impression de le regarder droit dans les yeux. Si le procédé vire quelques fois à une réprimande grossière (le saint Père en gros plan en train de nous remonter les bretelles), il sert surtout à nous renvoyer notre propre réflection, à nous projeter nous-mêmes sur l’écran pour mieux nous voir.

 

                                              


Le cinéaste se sert du pape et, plus exactement, du nom qu’il a invoqué pour se désigner lui même, et bien que le film soit à l’origine d’une commande, c’est moins pour l’ériger en vedette que pour mettre en lumière l’incarnation d’un symbole qu’il réalise ce film.
Si Wim Wenders accepte le défi, c’est qu’il voit dans le choix du nom d’un réformateur le désir du Pape de remettre la parole au centre, d’utiliser les mots comme une arme infaillible. Sa prise de parole devant le congrès américain semble le temps de son discours faire mouche. C’est pourtant une seule et unique personne qui se trouve devant toute une assemblée de dirigeants (ou devant une meute quelque peu revêche de cardinaux). Plutôt que de le sanctifier, il s’agit de montrer quelle puissance peut atteindre la parole même celle d’un seul homme. Car, que peut véritablement faire le Pape face aux injustices, aux catastrophes naturelles, aux famines, aux guerres, sinon que d’invoquer une figure forte et de se grandir, tout petit qu’il est finalement face au monde pour se faire entendre?  Autre image forte servant au même propos, celle du Pape François en déplacement regardant depuis son hélicoptère la vue d’en bas, sa position évoquant davantage celle d’une prise en hauteur de la situation plutôt qu’une supériorité divine, ou encore la mise en parallèle (doucereusement niaise) dans des plans vaporeux en noir et blanc du saint auquel il a emprunté le nom, qui servent à démontrer la puissance évocatrice de la figure qu’il a choisie, comme une voie à suivre.

 


Il n’est pas nouveau pour le cinéaste de prendre pour matière première des personnalités inspirantes. Ici, c’est l’utilisation que fait le pape de son nom qui est énoncée, c’est l’importance qu’il accorde aux mots qui séduit le cinéaste qui y voit une offensive courageuse et efficace pour nous rediriger vers l’essentiel.
Si le documentaire prend parfois des airs d’exercice moralisateur, il nous rappelle à quel point les mots peuvent nous armer, à quel point ils peuvent être puissants, et même, nous discréditer. Cette dernière idée d’ailleurs est loin de toujours servir le pape ; elle rejoint les critiques virulentes de ses termes prononcés récemment, en insistant bien sur le heurt que peuvent causer les mots et sur la vigilance à laquelle devrait constamment se livrer le pape en même temps que de glisser vers la modernité. 

 

 

Titre original : Pope Francis: A Man of His Word

Réalisateur :

Année :

Genre :

Pays : , , ,

Durée : 96 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…