La Vie facile (Easy Living – Mitchell Leisen, 1937)

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Archétype hilarant de la « screwball comedy », où la représentation sociale fait tout.

La screwball comedy, c’est cette sous-catégorie hollywoodienne qui mêle comédie de situation, comédie romantique et farce, emprunte au burlesque et fait se renverser les rapports homme-femme, cette dernière prenant souvent le pouvoir sur le premier. La Vie facile (Easy Living) en fait partie, avec ses rebondissements à la chaîne, ses dialogues à la répartie aisée et ses affrontements bourgeois/petites gens. Sorti en 1937 et appartenant à l’une des 700 productions Paramount tournées entre 1929 et 1949, le film de Mitchell Leisen marque la première collaboration du réalisateur avec Preston Sturges, qui signe ici le premier scénario du contrat qui le liait à la Paramount, et pour lequel il remania presque intégralement la première mouture d’abord écrite par Vera Caspary. Comme souvent chez le prolifique cinéaste américain (quarante longs métrages tournés entre 1933 et 1957), La Vie facile s’articule autour de l’irrésistible ascension d’une Cendrillon moderne, et reste aujourd’hui une pièce maîtresse en matière d’illustration de la fracture sociale.

Pas étonnant que Mitchell Leisen ait choisi comme point de départ de son film la chute du haut d’un immeuble new-yorkais d’un luxueux manteau en vison : on sait comme l’accessoire lui est cher, lui qui fut d’abord costumier de cinéma, notamment chez Cecil B. DeMille dans les années 30. La Vie facile démarre donc ainsi : au cours d’une dispute conjugale avec sa femme, un banquier milliardaire, J.B. Ball (surnommé "The Bull of Broad Street", « le taureau de Broad Street »), de rage, lâche le coûteux manteau de zibeline qu’elle vient de s’acheter. Celui-ci tombe sur la tête de Mary, jeune et jolie employée sans le sou qui passait en dessous. Alors qu’elle veut remettre le vêtement à son propriétaire, le financier lui dit de le garder, et va même jusqu’à lui acheter un chapeau pour aller avec. On leur prête bien vite une liaison, on suppose que Mary est richissime – les malentendus s’accumulent, les gags avec et le rythme s’emballe. Comme toutes les screwball comedies, La Vie facile va à toute berzingue, s’ingéniant surtout à faire s’enchaîner en cascade situations drôlatiques et quiproquos langagiers, jouant du burlesque et lorgnant aussi bien du côté des Marx Brothers que de Billy Wilder.

 

Mais sous des dehors de situations de boulevard et ses personnages outranciers et parfois caricaturaux, c’est bien le spectre de la crise financière des années 1930 que l’on sent poindre. En témoigne par exemple l’hôtel bâti par le personnage de Louis Louis, que Sturges a choisi d’installer dans les bâtiments des Waldorf Towers, aujourd’hui devenues une pointure de l’hôtellerie de luxe à New York mais qui furent un véritable échec financier à leur ouverture. Alors que dans la scène précédente, on a vu Mary devoir casser, à l’aide du talon de sa chaussure, son cochon tirelire pour pouvoir s’acheter à manger, on la retrouve quelques instants plus tard logée pour trois fois rien dans une chambre de Louis Louis, qui voit en elle une vache à lait de par ses rapports supposés avec J.B. Ball. Gigantesque baignoire rococo qui se visite (et donne lieu à l’une des séquences les plus drôles du film), pièces interminables en enfilade, la suite est clinquante mais ne fait que masquer les difficultés financières du pays à l’époque : Louis Louis, en effet, laisse toutes les lumières allumées pour faire croire que les chambres sont occupées, alors que l’hôtel est désespérément vide.

Plus tard, on retrouve Mary en train de dîner dans un « restaurant automatique », où tout est en self-service, en compagnie du fils de Ball, devenu son amant entre-temps. Alors que les distributeurs cassent et que la nourriture s’en déverse à torrents, un client lance l’alerte sur le pas de la porte : “Food!” Arrive une horde d’affamés déterminés à se nourrir gratuitement, signe d’une Amérique des années 30 qui, après le krach de 1929, ne se porte plus si bien. Si la Grande Dépression sert de toile de fond au film de Leisen, c’est pour mieux faire surgir une satire farouche du capitalisme de l’époque, qui rappelle par instants les comédies populistes de Frank Capra, comme dans L’Extravagant Mr Deeds (1936) qui mettait lui aussi en scène, une année plus tôt, un banquier sans beaucoup de scrupules.

Ce n’est pas la moindre irrévérence d’un film qui, malgré les contraintes des studios, égratigne presque tous ses personnages, illustre bien le gouffre entre pauvres et nantis, et fait surtout de la représentation sociale son cheval de bataille. Dans La Vie facile, la valeur d’une personne se jauge à l’aune de ce qu’il laisse à voir, et non de ce qu’il est. Ainsi du personnage de Mary qui, une fois endossée le vison, a l’effronterie facile et l’intelligence toute relative. Alors bien sûr, tout finira bien, mais pas avant quelques remarques bien senties sur le comportement des riches en temps de crise. Faux-semblants, usurpation d’identité et quiproquos : des éléments qui se retrouveront plus tard aussi bien dans le premier film de Preston Sturges en tant que réalisateur, Gouverneur malgré lui (1940), que chez Leisen dans sa Baronne de minuit (1939).
 

Titre original : Easy living

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Durée : 88 mn


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