La comédie américaine s’est régulièrement alimentée du conte, l’époustouflant Ball of fire de Howard Hawks, qui revisitait Blanche Neige et les sept nains à la sauce screwball comedy, ou encore La Huitième Femme de Barbe Bleue de Lubitsch, demeurant parmi les plus marquants. Le mythe de Faust se prêtait idéalement à l’exercice, ce que prouve cette relecture totalement délirante et sophistiquée. Une des grandes forces du film est de se trouver à la croisée des chemins, faisant idéalement le pont entre les « écoles » comiques, passées et futures, anglaise et américaine.
Le film est principalement vendu à l’époque sur le nom des deux héros Pete Cook et Dudley Moore, scénaristes du film et superstars comiques de la télé anglaise, plus connus sous leur nom de scène Pete’n’Dude. La trame principale n’est qu’un prétexte apportant un vrai liant à ce qui est finalement un film à sketches, illustré par la représentation des différents fantasmes de Stanley.
A la manière de leur show télé, le tandem en profite pour glisser dans le délire une bonne dose de critique sociale de la société anglaise de l’époque, à travers des situations hautes en couleurs. Stanley, homme du peuple frustré, va ainsi devenir tour à tour un intellectuel pompeux et incapable de conclure, un milliardaire ouvertement trompé par sa femme, une pop star idole des jeunes filles. Les interludes entre chaque fantasme, usant de situations plus quotidiennes, sont sans doute plus représentatifs de leurs prestations télévisuelles, principalement axés sur les échanges brillants entre Pete Cook (excellent en Satan blasé et moqueur) et Dudley Moore, pauvre bougre constamment ridiculisé.
Dans ses moments les plus grotesques et absurdes, Fantasmes est clairement annonciateur des futures farces des Monty Pythons. Outre le jeu décalé de Pete Cook, précurseur des dérapages de John Cleese, l’inventivité dont font preuve certaines scènes surréalistes laisse le spectateur hilare et consterné à la fois par tant de bêtises. Avec une drôlerie constante, s’enchaînent donc sous nos yeux : Stanley transformé en mouche pour espionner sa dulcinée, la séquence de séduction avec la sculpturale Raquel « Lust »Welch, ou encore un couvent où des nonnes vont faire du trampoline après la prière.
Fort de son expérience dans la comédie musicale et de la narration alambiquée de son film précédent, l’excellent Voyage à Deux, Stanley Donen apporte une fluidité exemplaire à l’ensemble. Avec son esthétique marquée Swinging London, Donen raccroche le film au train des comédies psychés très en vogue à l’époque, comme la parodie de James Bond Casino Royale ou The Party de Blake Edwards. De même, le thème du fantasme irréalisable rejoint les préoccupations des maîtres comiques de la génération précédente, à travers des titres comme Sept ans de réflexion ou Infidèlement Votre de Preston Sturges. Le tout est cependant brillamment remis au goût du jour, la dimension parodique notamment. Si Wilder détournait avec brio le classique Tant qu’il y aura des hommes, Donen livre une parodie totalement outrée des show musicaux 60’s, avec un Dudley Moore qui en fait des tonnes en pseudo clone de Tom Jones.
Le caractère du Diable, rendu systématiquement bouffon face à Dieu (dont il souhaite rejoindre les rangs à nouveau), évite le manichéisme Bien/Mal de rigueur. Le film gagne encore en substance lors de la tirade finale du Diable qui, après sa défaite, menace Dieu d’un monde peuplé de fast foods, d’autoroutes en béton et de pollution. Hilarant et visionnaire, ce que l’on ne peut pas dire du sympathique remake de Harold Ramis en 2000, amusant mais moins intéressant car moins ancré dans son époque que l’original.