Et la fête continue !

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Marseille sans turbulences : Les malheurs et les chances d’un cinéma à feu doux.

Robert Guédiguian : Itinéraire d’un grand enfant. 

À l’âge de 69 ans, Robert Guédiguian est un cinéaste senior qui ne fait plus seulement des films sur les communautés, mais aussi sur la transmission au sein de ces communautés. Dans son avant-dernier film, Twist à Bamako, mélo sur le Mali post-indépendance, celle-ci prenait la forme de discours rêveurs sur ce qu’aurait pu être l’avenir socialiste et émancipateur de ce pays. Elle prenait aussi la forme de petits raccourcis : on pense, notamment, à la distinction un peu facile entre les jeunes (plus un ministre joué par Diouc Koma) qui parlaient tous avec un accent français normatif, et les plus vieux, qui s’exprimaient avec un accent malien. Dans son tout dernier film, Et la fête continue !, allégorie du triple axel politique de l’ancienne maire de Marseille, Michèle Rubirola, celle-ci prend la forme de l’enseignement. La transmission, dans ce long-métrage impudique, est multiple en ceci que le récit suggère qu’on ne peut pas léguer des idéaux sans léguer de la littérature, de la culture, ou au moins un goût pour la performance. Qu’on ne peut pas léguer des idéaux, au final, sans léguer la capacité d’exprimer ceux-ci de manière artistique, créative, émouvante, ou, franchement, dans le cas d’Et la fête continue !, naïve. Certains considéreront que c’est peut-être la force du film que d’être parfaitement convaincu par sa propre candeur, et rigoureusement gagné à sa propre cause. Et la fête est une œuvre dans laquelle Rosa (Ariane Ascaride) dort avec un grand sourire en rêvant à son défunt père, et c’est assumé. Mais si l’image peut charmer le spectateur pour qui c’est le premier film social, nous tendons à considérer que le militantisme pro-narrativisme de cette production est redondant : qui, aujourd’hui, va voir le film marketé humaniste d’un réalisateur réputé de gauche, s’il ne croit pas un minimum en l’utilité de raconter des histoires pour servir des fins progressistes et réunissantes ?

Dans Et la fête continue !, la transmission prend aussi la forme de gros raccourcis ! Disons qu’il existe un cinéma de vieux sages, et qu’il existe un cinéma de grands-pères. Ici, on est clairement dans la seconde catégorie : Guédiguian dans sa troisième jeunesse, a développé, comme beaucoup d’autres, une espèce de compérage avec l’enfance, une tendresse qui s’accompagne d’une envie de paraître pédagogue, mais surtout, fantasque et complice, aux yeux des petits spectateurs. En découle la si particulière palette de jeu de Robinson Stévenin et Grégoire Leprince-Ringuet (pourtant excellents dans Gloria Mundi !), dans les rôles de Sarkis et Minas, fils de Rosa et héritiers d’un père arménien (décédé lui aussi). Les deux frères sont constamment dans la représentation déclamative, éternellement dans le plébiscite soit de leurs racines, soit de leurs émotions romanesques (qui ont toujours un lien, de près ou de loin, avec leurs racines). Ils parlent de leur héritage arménien sans jamais tarir, et surtout, ils en parlent comme s’ils l’avaient répété ! Que Guédiguian ait pour volonté de rendre accessibles et compréhensibles ses ardeurs pour sa propre arménité est une chose – Qu’il exhorte des comédiens à le faire de manière aussi fausse en est une autre !

Nous allions presque dire que personne ne parle de cette façon dans la réalité – à bien y penser, c’est plutôt que personne ne parle de cette façon dans la fiction : Dans un film, un acteur peut (et ici, à notre sens, aurait dû) mettre du naturel dans de l’artificiel. Dans le monde réel, c’est vrai, il arrive qu’un orateur exprime de manière raide et désincarnée des ressentis qui viennent du plus profond de son cœur. Sous cette lumière, alors, la texture des dialogues de Sarkis et Minas aurait pu être persuasive – mais il aurait fallu que leurs discours soit plus hésitants. On en apprend effectivement beaucoup sur les croisements entre l’identité arménienne et l’identité marseillaise. Beaucoup trop, finira-t-on par penser, car ces personnages se retrouvent totalement aplatis par une écriture qui fait d’eux des démarcheurs, des témoins de Jéhovah. Minas, en particulier, paraît si peu vivant qu’il est prêt à en mourir : il souhaite laisser Marseille pour s’engager contre les politiques expansionnistes du président turc Recep Tayyip Erdogan. Idée qui paraît plus être celle d’un homme-métaphore que d’un médecin heureux en ménage et père de deux filles.

Enfin, si Sarkis et Minas sont aplatis, leurs compagnes (Lola Naymark & Pauline Caupenne) le sont encore davantage : toutes deux ont des moments où elles semblent douter d’un choix très important que fait l’homme qui partage leurs vies, mais elles changeront vite d’opinion, ou alors, on apprendra qu’il s’agissait d’un malentendu. Du cinéma de grand-père qui aimerait être du cinéma de vieux sage, Et la fête confirme donc avec fracas qu’il n’en est pas, puisqu’il évite toute forme de vrai conflit de fond. Un comble, pour un film dont l’un des enjeux est aussi de documenter les dissensions à gauche !

Une loyauté en béton armé envers ses acteurs fétiches. 

Continuons cette critique avec une concession : il y a bien pire, comme posture de cinéma, que celle de l’artiste très érudit et très engagé qui plie les genoux et se retrousse les manches, afin d’expliquer quelque chose à un public qu’il trouve très bête. Nous ne faisons pas de procès de ton aux films sociaux qu’on trouve bons – nous n’en ferons donc pas non plus à Et la fête continue !, quand bien même nous trouvons ses rêveries crédules et infantilisantes, et quand bien même nous trouvons ses références historiques/politiques si soulignées, si surlignées, si mises en majuscule qu’elles expurgent du récit l’air qu’il gagnerait à contenir. Le problème d’Et la fête n’est pas d’être un film enfantin ou d’être un film discursif. Son problème est d’être parfois l’un, parfois l’autre. Son problème est d’être un film enfantin qu’on ne saurait pas trop comment montrer à un enfant. Son problème est d’être un film discursif où l’on sent qu’un artiste a réfléchi très fort à ce qu’il pouvait transmettre, pour au final, ne trouver que des platitudes comme l’importance des récits*. Rosa (« comme Rosa Luxemburg », nous informent les dialogues – nous le disions : des références soulignées, surlignées) s’interroge réellement sur ce qu’elle peut laisser. À ses enfants, à ses petits-enfants, à sa ville. Mais à la fin du film, elle n’a rien trouvé d’autre qu’une injonction générale à réagir, à faire quelque chose. Le médium étant le message, son emportement, son urgence, et sa conviction à livrer cette évidence mettront tout le monde d’accord, à commencer par Henri (Jean-Pierre Darroussin, extrêmement authentique et paisiblement chaleureux), co- protagoniste d’une romance mature et calme, et lector in fabula qui lit du Umberto Eco. Henri étant le principal pourvoyeur d’enseignement littéraires et culturels qu’on suit dans le film.

Du reste, il nous faut bien le préciser, le long-métrage a un rythme plutôt plaisant – au moins ça ! – et il peut s’enorgueillir de la mise en scène attentive, sereine, et délicatement savante qui caractérise le cinéma de Guédiguian, celle-là même qui fait de lui un réalisateur à part, en France. La pilule passe, sans couleur, sans douleur. Et même si le didactisme sans dadaïsme de Guédiguian est moins moderne que l’œil réactualisé d’un Ken Loach (cf. The Old Oak), Et la fête continue ! reste un film à voir pour son auteur. C’est-à-dire, pour mieux comprendre le cadre plus large du reste de sa filmographie, et aussi pour toutes les mêmes raisons qui nous poussent habituellement à voir un Guédiguian, exception faite d’une pertinence tranquillement marquante qu’aura un Gloria Mundi et que n’aura pas Et la fête. Dans une scène, Henri suggère même qu’il est plus important, pour faire exister la tragédie des immeubles rue d’Aubagne, de les décrire par les sons, et non par les faits. Et dans une autre, Rosa se remémore avec douceur les odeurs proustiennes qu’elle associe à son père – cuir de blouson, échappement de motos, etc. En d’autres termes, Guédiguian, plus humble en créateur visuel qu’il ne l’est en politologue, vient nous prêcher que les autres sens sont peut-être plus important que la vue et les images. Pour un réalisateur, c’est audacieux !

*Notre problème, à nous, critiques, sera d’analyser le long-métrage quand il le fait déjà lui-même. On aimerait pouvoir développer sur les enjeux et les unions Phocéens/Arméniens dans l’histoire de Marseille. Mais le scénario les commente déjà, avec les apparitions graduelles du buste d’Homère par Dantoine, à l’angle de la rue d’Aubagne. Et avec le fait qu’un personnage se revendique descendante d’Homère.

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