Le troisième opus d’une trilogie
On ne présente plus bien sûr Ken Loach dont c’est le 27e film, ce coup-ci co-signé avec son scénariste Paul Laverty. On y retrouve encore une fois la même maestria, les mêmes genres de comédiens absolument géniaux et la petite musique de gauche inusable et souvent utile dans un monde de plus en plus individualiste et violent. Le sujet du film repose sur un vieux pub qui donne son nom au titre du film et qui est menacé de fermeture comme tout d’ailleurs dans cette petite ville du Nord de l’Angleterre depuis que Margareth Thatcher a fermé les mines dans les années 80. Le film commence par une très belle image : le propriétaire des lieux, TJ Ballantyne, tente de remettre d’aplomb la dernière lettre en fer de sa devanture qui bat de l’aile mais, bien sûr, dès qu’il referme la porte, elle se met aussitôt à pencher de nouveau. Pour Rebecca O’Brien, la productrice du film, cet opus constitue en quelque sorte le troisième volet d’une trilogie : « Je crois que Ken a eu le sentiment qu’il y avait une forme de symétrie – ou d’asymétrie – à situer trois intrigues dans le même environnement. On a gardé un si bon souvenir de Moi, Daniel Blake et Sorry we missed you qu’on s’est dit qu’il y avait comme une évidence à situer notre troisième projet dans la même région. Un troisième chapitre équilibre l’ensemble. On ne l’avait pas envisagé comme une trilogie au départ mais j’imagine qu’on va considérer que c’en est une. »
Ressusciter l’entraide des mineurs disparus
Dans cette petite ville, depuis que le chômage s’est abattu sur elle et, avec lui, des fractures sociales, des clivages et beaucoup de désespoir, même le pub marche sur trois pattes malgré la bonne humeur du patron et de son assistante, mais cela ne suffit pas à redonner foi aux habitants. Du reste, la grande salle qui servait à organiser des banquets, notamment de soutien aux mineurs en grève, et dont les murs sont recouverts de photos de cette époque, est fermée définitivement et tombe en ruines. Jusqu’au jour où des migrants syriens arrivent en bus dans les rues de la ville. Aussitôt le vieux Ballantyne se prend d’amitié pour une jeune migrante, Yara – la seule du reste comme par hasard à ne pas porter de voile – parce qu’un homme en colère lui a cassé son appareil photo à sa descente du bus. Ballantyne, plus âgé qu’elle, va en quelque sorte lui servir de mentor et c’est grâce à elle que le pub justement reprendra vie notamment en ressuscitant la tradition d’entraide des mineurs et des repas partagés mais ce coup-ci pour les enfants pauvres du village et les migrants pour leur donner le désir et les moyens de vivre ensemble.
Rencontre de deux malheurs
C’est un très beau film qu’il faut considérer bien sûr comme une fable car, malheureusement, dans la vraie vie rien n’est aussi idyllique. Et, même s’il n’est pas complètement manichéen comme aurait pu l’être un film français sur le même thème, il n’échappe pas à certains clichés sur la gentillesse des migrants et le côté fermé, voire réactionnaire d’une partie des autochtones, même si encore une fois Ken Loach le fait d’une manière discrète et, en tout cas, non dichotomique avec d’un côté les méchants blancs et de l’autre les gentils migrants. Vers la fin du film d’ailleurs, deux scènes très émouvantes font comprendre toute l’humanité du réalisateur qui signe ici, non pas un chef-d’œuvre certes, mais un film sur l’air du temps avec une touche très personnelle, en faisant presque fi de la bien-pensante : la mort du chien de Ballantyne et celle du père de Yara disparu en Syrie et auquel tout le village rendra hommage même sans le connaître vraiment, seulement parce que les habitants ont compris que leur malheur est similaire à celui des Syriens.