Gloria Mundi

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Régression sociétale.

Gloria Mundi s’ouvre sur la naissance baignée de lumière de Gloria, tenue sous le jet d’eau de son baptême. La séquence s’étire sur plusieurs secondes précieuses, destinées à suspendre un moment d’espoir christique : l’arrivée d’un nouveau-né dans le monde et de toute l’espérance qu’il apporte. Elle fixe aussi l’objet réunificateur, l’évènement autour duquel une famille recomposée se retrouve, mais pas dans l’onde chaude du bain de naissance qui berçait Gloria. Au quintet que forment Mathilda (Anaïs Demoustier) qui vient d’accoucher, et qui tient son bébé dans les bras, son époux Nicolas et ses parents Sylvie et Richard (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin) s’ajoutent sa demi-sœur Aurore et son compagnon Bruno, venus pour l’occasion. Leur arrivée en trombe détonnent immédiatement avec l’évènement miraculeux de la naissance. Le mouvement de froissement de la main de Bruno sur le bouquet de fausses fleurs, lâché sur le lit d’hôpital, et fixé dans un plan rapproché, cristallise ce qui semble être pour eux un évènement quelconque. La chambre expose une hétérogénéité des rapports, dont on devine l’extrême sécheresse entre les sœurs, dans le creux du regard jaloux et moqueur d’Aurore demandant à Mathilda « Gloria, ça vient d’où ? », comme si le prénom et l’enfant arrivaient soudain, de manière aussi expéditive que leur propre entrée dans la chambre.

Cette chambre, justement, héberge en l’annonçant l’alliage de douceur et d’amertume d’un film strié par des moments d’une extrême cruauté, mais toujours percé du filet de lumière que diffuse Gloria, le précieux totem de bienveillance relayé de bras en bras. Comme cet aimant central qu’était l’île dans La Villa (Robert Guédiguian, 2015) Gloria raboute autour d’elle les membres de cette famille, jusqu’à sa remise au complet, avec l’arrivée de Daniel, père biologique de Mathilda, tout juste libéré après trente ans de réclusion. D’un bout à l’autre, c’est presque la fin d’une vie passée derrière les barreaux qui vient se coller à une autre qui commence. Mais la boucle vient se refermer sur un nid d’individus abîmés par une société malade dont ils sont les produits finis, cellulaires, entichés de la poursuite infinie de leur réussite individuelle, au prix d’une bataille sans merci des « winners » contre les « minables ». Les « minables », les « moins que rien », ce sont eux, justement. Sylvie est femme de ménage, Richard est chauffeur de bus, Mathilde est vendeuse « à l’essai » dans une boutique de vêtements, Nicolas est chauffeur Uber. Quant à Bruno et Aurore, ils sont entrepreneurs, possèdent une boutique de revente d’objets cassés qu’ils rachètent à un prix misérable à des gens plus pauvres qu’eux, et qu’ils revendent neufs, grâce à une main d’œuvre de réparateurs bon marché. Ici, ce sont des couches sociales inférieures qui ont sauté le pas, tenté leur chance dans le monde intransigeant des affaires. Ils sont devenus les bourreaux d’une classe de laquelle, ils ont réussi, en la piétinant, à s’échapper.

C’est bien ce qui donne sa force à cette fable, y trouver des opprimés qui oppriment, des gens du dessous qui copient ceux du dessus, quitte à reproduire les mêmes abjections. Car, du moment qu’on a « réussi », qu’on est devenu « le premier de cordée », comme Bruno, fier de l’ouverture de son second magasin et qui s’ingénie à citer les propos du président, peu importe qu’on ait écrasé ceux qui nous barraient la route. Et si on est soi-même victime, on sait bien qu’à la place de celui qui nous opprime on « ferait pareil », comme dit Mathilda à sa mère, certaine que sa chef la virera à la fin de sa période d’essai.

 

Arrivé sur le tard, Daniel incarne ce regard extérieur sur sa famille, avec le paradoxe d’être l’unique être à avoir conservé une porosité dans ses rapports, bien qu’ayant vécu la majeure partie de sa vie enfermé. Ce qu’il retrouve à sa sortie de prison, est une société recluse, gestatrice d’individus amers et égoïstes que représentent presque chacun leur tour les membres du cercle familial. Aurore refuse de léguer une place dans son nouveau magasin à sa sœur, Mathilda rejette toute entière la faute sur son mari éploré, Sylvie refuse d’épauler la grève syndicaliste et fait même preuve de racisme. Tous ont leur part de rancœur et de rage et l’horrible totem invisible de l’argent circule d’esprit en esprit. Cette petite société fourbe, c’est la retombée d’une ligne conductrice généralisée, d’une pensée forte et uniforme réglant nos rapports sociétaux : anti-intellectuelle, grossière, superficielle et emplie d’un unique idéal, celui que « des jeunes Français (…) aient envie de devenir milliardaires ».

Au bout du compte, la société ne rend que ce qu’elle reçoit, enfante des êtres misérables sans idéaux ni espoirs d’y changer quoi que ce soit. Pourtant la lueur solaire de Gloria parvient à irradier quelques espaces, à loger au creux de scènes cuisantes quelques échappées salvatrices. Tout n’est pas encore perdu, car il existe encore le miracle de l’engendrement. Pas celui d’une société amère qui s’engendre toute seule, répercute et transmet des idéaux morts, mais bien celui des belles valeurs, la solidarité, la culture et la connaissance, le partage et le rapprochement, celui de la transmission des rêves véritables.

Titre original : Gloria Mundi

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Durée : 106 mn


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