DVD « Rock the Casbah »

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Violence des rapports familiaux au sein d’un environnement idyllique mais cloisonné.

À travers des personnages touchants et contradictoires, Laïla Marrakchi signe avec Rock the Casbah son second long métrage après Marock (2005), mêlant traditions et rebellions au sein d’une même famille. C’est dans la lumière dorée d’un Tanger de carte postale que baigne le film de Laïla Marrakchi. Dès le début du film, on est stupéfait devant la splendeur du lieu, qui tient à la fois du palais merveilleux et du paradis terrestre. Tout cet éclat nous éblouit et, bien plus que ça, nous aveugle. On ne sortira pas de la cellule familiale, excepté pour parcourir les abords et les rues de Tanger à bord d’une vieille Mustang 71.

C’est d’aveuglement et d’illusion qu’il est question ici et, plus précisément, du masque insidieux de la richesse d’une famille qui, en déployant ses formes et ses femmes, n’échappe pas au poids lourd que sont les traditions établies et l’ordre patriarcal. C’est lorsque le patriarche trépasse que, justement, les choses et les habitudes qui étaient jusque-là figées vont être amenées à se mouvoir. C’est à ce moment-là que la famille, certes unie, va se révéler profondément meurtrie. 
Interprété par Omar Sharif, Moulay Hassan, le chef de famille, passe de vie à trépas dès le début du film et c’est autour de ses funérailles que les liens familiaux vont se nouer et se dénouer. Laïla Marrakchi laisse filtrer très peu d’informations à propos de ses personnages masculins, mais juste assez pour les reconnaître et remarquer leurs ambivalences. Du père, on ne saura finalement pas grand-chose, ne l’apercevant qu’à travers le regard d’un petit-fils qu’il n’a pas connu. Le mort viendra ainsi interpeller le présent, non pour apporter sa propre vérité, mais plutôt pour tenter d’apaiser l’image que son petit-fils – et le spectateur, par la même occasion – pourrait se faire de lui.

 

 

Le film se découpe en trois parties, équivalant aux trois jours d’un enterrement selon la tradition musulmane, et se focalise sur tous les personnages féminins qui eurent affaire au mort.
Il y a Aïcha, la veuve, mais surtout la mère. Il s’agit d’une femme hautement sophistiquée, mais si froide et secrète qu’elle ne laisse jamais rien transparaître, et ce malgré les provocations de ses filles. Ces dernières sont au nombre de trois, allant de Kenza, l’aînée stricte, coincée et maniaque, à Sofia, la plus jeune, partie vivre aux Etats-Unis réussir une vie de comédienne, en passant par Miriam, la cadette impertinente qui ne semble pas se soucier d’autre chose que de ses implants mammaires. Cependant, et c’est un fait, toutes ces femmes sont présentées dès le début comme de véritables clichés, ce qui s’avèrera finalement loin d’être le cas tant chacune d’elles va être amenée à progresser dans son cheminement personnel. Leur désir de libération et leur sentiment de révolte ont trop longtemps été contenus, il aura fallu la mort du chef pour que tout explose. Le pouvoir désormais éteint, les révoltes débordent. C’est Sofia, en premier lieu, qui va bousculer l’ordre établi. En quittant son pays pour faire sa vie aux Etats-Unis, Sofia a voulu s’affranchir de l’oppression paternelle, mais les membres de sa famille, notamment ses sœurs, ont vu ce départ comme une trahison. La jalousie sous-tend ces médisances familiales, sûrement parce que Sofia a choisi d’avancer lorsque toutes les autres restaient figées, têtes baissées.
Cependant, il faut la mort d’un père pour la voir revenir au pays. Qui plus est, elle ne rentre pas bredouille mais avec un secret, fruit de révélations qui la surprendront elle-même plus tard. Il y avait une autre femme, une autre sœur, pour laquelle le poids du père, entravant continuellement ses choix, fut trop lourd et qui choisit d’en finir avec la vie. De ce suicide découle un lourd héritage moral ainsi qu’un funeste secret qu’il n’est pas lieu ici de révéler.

Laïla Marrakchi semble avoir mis tous les ingrédients nécessaires pour aboutir à un film maîtrisé, ni bon, ni mauvais mais, de ce fait, très conventionnel.
Le scénario nous paraît trop juste et raisonné, rien n’échappe à la logique presque systématique du drame musulman et familial. La tension devient agitation et la tragédie, hystérie. On se demande pourquoi la désobéissance féminine est vue sous un angle si réducteur en regrettant, par exemple, le fait que lorsqu’elles sont énervées, l’unique révolte des deux sœurs aînées (relativement soumises habituellement) se résume à fumer une cigarette ou à boire une Heineken tout en devenant vulgaires. Loin de toute modération, la solution semble être la libération ou l’oppression.
Malgré tout, et c’est tout à son honneur, la cinéaste nous propose un film totalement décomplexé, qui oscille constamment entre force et légèreté. Les bouleversements d’adultes alternent avec le caractère espiègle de ces femmes qui retrouvent, dans ce huis clos que représente la maison familiale, leur insouciance enfantine. Les moments où ces femmes lâchent prise permet au film de nous proposer un autre ton, plus amusant que tragique. Heureusement, Laïla Marrakchi a trouvé le bon dosage pour ne pas en faire trop. Il s’en fallait de peu pour qu’on ait l’impression de se retrouver devant une énième comédie entre copines du genre Comme t’y es belle ! (Lisa Azuelos, 2006) Soit.

 

 

Malgré un scénario quelque peu convenu, le soin apporté par Laïla Marrakchi à ses personnages féminins lui permet d’effleurer des rapports humains et familiaux en dents de scies et avec lesquels on ne peut que se trouver en empathie.
La réussite du film doit beaucoup à son casting, qui met côte-à-côte des actrices gracieuses et fougueuses. Lubna Azabal, qu’on a vue dernièrement en femme indignée dans La Marche (2013) de Nabil Ben Yadir, n’a rien perdu de son agitation. Elle interprète une Kenza fébrile et nous paraît toujours aussi paradoxale, coincée entre l’antipathique constamment scandalisée et l’intellectuelle imperturbable.
Hiam Abbass, trop rare mais précieuse, excelle toujours dans des rôles où sa retenue ne la rend pas moins vulnérable. Elle est une sorte de Charlotte Rampling orientale : pas bourgeoise mais élégante et droite, juste ce qu’il faut.
Les actrices ont dû passer énormément de temps à appréhender leur personnage et la relation qu’il entretient avec les autres. Cet aspect du travail d’acteur se ressent fortement lorsque l’on se retrouve face à Nadine Labaki, qui interprète Miriam, la séduisante effrontée. Son personnage n’est qu’apparence et ne se révèle pas frivole pour un sou. Il est sûrement le plus fort et le mieux dosé de tous. Ce qui pourrait apparaître chez Miriam comme des pleurnicheries de desperate housewife pourrie-gâtée révèle en vérité de profonds bouleversements qui ne concernent pas tant la femme qu’elle est devenue que la petite fille qu’elle a un jour été (1).
On regrette que les bonus soient inexistants sur l’édition DVD car les actrices avaient sûrement beaucoup d’autres choses à dire.

 

Rock the Casbah de Laïla Marrakchi – DVD édité par Pathé – Disponible depuis le 15 janvier 2014.

(1) Nadine Labaki est également réalisatrice. Elle a notamment réalisé deux longs métrages : Caramel (2007) ainsi que Et maintenant, on va où ? (2011).

Titre original : Rock the Casbah

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Durée : 100 mn


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