L’or de Rome
La force sociale du cinéma du italien repose, en grande partie, sur le regard passionné mais lucide, bienveillant mais critique, de ses grands maîtres sur le cadre de vie, ô combien pittoresque, de leurs récits. Blasetti s’inscrit dans le sillon des Rossellini, Fellini, Risi, pour ne citer qu’eux, dans son désir de considérer la ville comme un personnage à part entière. Au début des années cinquante, Rome, qui ne s’est jamais endormie, voit son énergie décuplée par le développement économique. Des bourgeois pour qui le train n’est envisageable qu’en première classe, les voitures qui pullulent dans les rues, les touristes anglais généreux en pourboire ; le récit est richement parsemé de rencontres et d’arrière-plans qui ne cessent de souligner l’effervescence et le potentiel de la capitale. Paolo peut espérer un avenir souriant après avoir obtenu un crédit pour acheter son taxi. Les yeux brillent pour les petits escrocs qui gravitent dans les lieux où l’argent circule.
L’optimisme ne saurait effacer les stigmates de la guerre . Paolo y a laissé ses parents. « La jeunesse d’aujourd’hui, c’est une génération perdue » constate amèrement Vittorio. Dans les ruelles, les enfants qui trainent en groupe ne perdent pas de temps pour chaparder la roue de secours du taxi. Dans la grande comédie italienne, la pauvreté n’est ni une tare ni une excuse, mais un amplificateur de l’hypocrisie d’un peuple qui cherche à masquer en permanence son avidité sous de grotesques apparences de respectabilité. Dans le foyer de Lina, de la grand-mère jusqu’aux petits enfants, les valeurs de la sacro-sainte famille italienne en prennent un sérieux coup sur la tête.
Gendarme et voleurs
L’existence de Paolo n’est guidée que par un seul principe : l’intégrité. Peu importe ses intérêts personnels, ce qui compte c’est que justice soit faîte. Comme tout bon Don Quichotte qui se respecte, l’homme suscite autant la sympathie que la moquerie. Son obstination augmentant au fur et à mesure de ses échecs, le scénario en devient d’autant plus cocasse, jusqu’à atteindre son paroxysme lors de la grande scène du commissariat. Une audience digne des meilleurs Screwball comedy hollywoodiennes, durant laquelle la raison y perd tous ses repères.
La justice n’est-elle pas qu’une simple vue de l’esprit ? Ne parlons pas de la morale qui n’engage que ceux qui y croient. Le titre original, Peccato che tu sia una canaglia, joue sur le double sens du mot peccato, qui peut désigner aussi bien un simple regret qu’un pêché. Les italiens utilisant ce terme à tout bout de champ pour discréditer le comportement d’un tiers. Pourquoi s’encombrer de tant de scrupules ? Lorsqu’il y a de l’argent en jeu, l’essentiel est que chacun y trouve son compte.Tous les accusés se trouvant relaxés, Paolo va devoir se rendre à l’évidence et se comporter enfin comme un romain digne de ce nom. Il lui reste encore à affirmer sa virilité pour légitimer sa demande en mariage. Après une énième provocation, Lina tend la joue pour recevoir une bonne paire de claques. En tout bien, tout honneur.