Atlantic Bar

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Le bar comme lieu poétique de coeurs qui se soutiennent, avant disparition…

Les Rencontres d’Arles, ville photogénique

Après Mourir à Ibiza en 2022 du trio Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, coucou revoici la photogénique ville d’Arles, capitale mondiale de la photographie, grâce à Lucien Clergue qui y a créé en 1970 les Rencontres d’Arles, premier festival international de la photographie. C’est en effet au cours d’un atelier qui y avait été organisé que la jeune photographe Fanny Molins est encouragée pour travailler autour d’un petit café d’un quartier populaire de la ville provençale. C’est une approche qui se fera en plusieurs étapes et plusieurs années. Elle commence par se rendre régulièrement dans le café, l’Atlantic Bar, près des remparts et non loin des célèbres arènes, prenant des photos de clients ou des propriétaires. Puis, pendant trois ans, elle enregistrera des voix, photographiera le lieu  à la belle lumière rasante, prenant le pouls de ce qui fait du café un lieu de parole et d’échange, un des endroits de la Cité où les anonymes peuvent devenir autre chose que des piliers de bar. Encouragée par le photographe Julien Magre, qui menait l’atelier, et d’une productrice, Chloé Servel, Fanny Molins parviendra enfin à poser sa caméra pour filmer le quotidien du bar juste au moment où Nathalie et Jean-Jacques, les patrons, reçoivent le courrier des propriétaires annonçant leur volonté de casser leur bail et de fermer le bar qui deviendra sans doute un endroit branché en raison même de la gentrification qui n’épargne même pas ce quartier pauvre d’Arles. 

 

Bourdieu et Ernaux

Le film, présenté l’année dernière à l’ACID à Cannes, prendra le nom du bar comme un hommage, comme la volonté de le pérenniser. Mais pas seulement. A le voir, on ne peut qu’être ému d’autant que le film coïncide aussi avec les 18 ans de Sandro, le fils des patrons, qui aurait aimé reprendre l’affaire et qui ne pourra pas le faire en raison même de la fermeture annoncée. Cette clôture du bail résonne en fait comme un véritable drame dans ce microcosme qui fait penser au Bar de la Marine cher à Marcel Pagnol dans les années 1930 à Marseille sur le Vieux Port. Mais la caméra de Fanny Molins ne se fait ni voyeuse, ni pleurnicharde. Sans doute, guidée par la lecture de Pierre Bourdieu et d’Annie Ernaux, ces visages à la fois attristés par la vie, et déformés par l’abus d’alcool et de cigarettes, sont les témoins d’un monde à la renverse que nous ne connaîtrons bientôt plus, seulement dans les romans et le cinéma. Du coup, Nathalie la patronne qui avait cessé de boire a repris la bouteille, tout comme son compagnon qui ne va pas tarder à fumer à nouveau. Le monde qui bascule est une perte de repères pour la société car les bars populaires véhiculent autre chose que les bars branchés modernes, mais ils sont aussi le ciment qui unit ces personnes entre elles, et leur évitent de sombrer dans une solitude dévastatrice. Ainsi le petit blanc et le café à un euro cinquante disparaîtront de l’ardoise et où iront maintenant ces prolos pour boire leur petit coup ? C’était pourtant le souci de Jean-Jacques, le patron, de maintenir des prix très abordables en souvenir de ses parents communistes et de ses origines modestes.

Un bien triste anniversaire

C’est pourquoi l’anniversaire de leur fils Bruno, organisé dans le bar, a un goût très amer, de même que la danse solitaire d’un client devant le juke-box et les parties de pêche tous les mardis en Camargue du couple de bistrotiers avec leur copain ex-SDF. Un monde qui disparaît, une méditation sur l’addiction à l’alcool et des portraits de gueules brûlées et de grandes espérances. « On a vu en direct Nathalie, Jean-Jacques et les autres se confronter à une violence soudain palpable, concrète, comme une confirmation de son existence, explique la réalisatrice du documentaire dans le dossier de presse du film. Ce film, qui devait être le témoignage décontextualisé d’un lieu avant sa disparition potentielle est devenu soudain très contextuel. »

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Durée : 77 mn


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