Allez coucher ailleurs

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Howard Hawks déploie un féminisme réjouissant dans cette trépidante screwball comedy.

Moins connu et célébré que les classiques L’Impossible Monsieur Bébé (1938) et La Dame du vendredi (1940), Allez coucher ailleurs n’en demeure pas moins une des screwball comedies les plus originales et réussies de Howard Hawks. Le film s’inspire de la véritable histoire de Roger Henri Charlier, ancien officier belge marié à une Américaine durant l’après-guerre et qui rencontra les pires difficultés pour la rejoindre aux États-Unis. En effet, la législation américaine était organisée pour faciliter l’accompagnement des épouses étrangères, mais absolument pas celui des maris. Howard Hawks réunit Hagar Wilde, sa scénariste de L’Impossible Monsieur Bébé, ainsi que Charles Lederer, celui de de La Dame du vendredi, afin d’extraire toute la substance comique de cette histoire. Dans toutes ses screwball comedies – à celles déjà citées, on peut ajouter le génial Boule de feu (1941), Chérie je me sens rajeunir (1952) et le tardif Le Sport favori de l’homme (1964) –, Howard Hawks place un homme immature et infantilisé face à une jeune femme espiègle qui va se jouer de lui dans réjouissant charivari amoureux. Ici, il s’agira du capitaine de l’armée française Henri Rochard (Cary Grant), forcé de s’acoquiner à la jeune Américaine Catherine Gates (Ann Sheridan), qui va lui servir d’interprète dans le cadre de la vaste mission de reconstruction de l’Allemagne d’après-guerre.

 

À cette opposition, classique au sein de son cinéma, Hawks ajoute une entreprise de démasculinisation de son héros au détriment de sa compagne de voyage. La première partie, qui dépeind leur périple à travers l’Allemagne, est à cet effet la plus réjouissante. Régulièrement titillé et moqué par Catherine, Henri sera humilié plus qu’à son tour. Cette domination s’affirme déjà par le moyen de transport utilisé, un sidecar piloté par Catherine, Henri étant réduit à l’état de passager dans le cockpit. C’est également la jeune femme qui prendra toutes les décisions durant le voyage, tandis que chaque initiative d’Henri le rabaissera toujours plus au travers de gags hilarants : soulevé par la barrière en voulant traverser une voie ferrée, sauvé de la noyade par Catherine, emprisonné et incapable de retrouver l’objet de sa mission suite à une mauvaise blague. Le rapport homme/femme implose complètement, Henri faisant office de « repos du guerrier » en massant Catherine après une journée de turpitude. C’est finalement elle, par son audace, qui concrétisera le rapprochement amoureux, Henri exprimant ses sentiments par une manifestation sensible – là aussi plutôt associée aux héroïnes des comédies romantiques de cette période. Une fois le couple établi, l’effacement de l’archétype de mâle viril et dominant se poursuivra néanmoins, en constant miroir de la première partie.

 

 

Les obstacles ne sont plus physiques mais administratifs, d’abord au travers du chemin de croix de paperasse subi pour officialiser le mariage puis pour le consommer. Le cliché ancestral du guerrier ramenant une épouse de ses campagnes étrangères s’inverse, l’administration américaine n’ayant prévu des procédures que pour les maris rentrant au pays avec leurs épouses. Ce flou juridique empêche les époux de cohabiter et de consommer leur nuit de noces mais va permettre à Henri de suivre tant bien que mal Catherine sur le chemin du retour, perdant à chaque avancée un peu plus de ses atouts masculins. Cary Grant est bien évidemment génial, gardant bagout et prestance malgré tous les outrages et la déchéance subis par son personnage. Ann Sheridan est typique des héroïnes de Hawks avec un peps, une distance et une drôlerie de tous les instants auxquels on peut ajouter une autorité naturelle qui contrebalance avec l’inconséquence de Cary Grant. Après avoir enfilé un pantalon pour conduire le sidecar et affirmant ainsi « porter la culotte » au sein du couple, la boucle est bouclée lors du final où Henri est carrément obligé de se travestir en femme pour la dernière marche avant le départ. Ce n’est que dans l’intimité enfin accordée de leur cabine qu’il pourra recouvrer ses attributs pour une nuit de noces tant attendue. Hilarante et progressiste, une belle réussite qui souffre malgré tout d’un déséquilibre de rythme, la partie voyage étant bien plus trépidante que celle de l’enlisement administratif.

Titre original : I Was a Male War Bride

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Durée : 105 mn


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