Maire de Lyon depuis une trentaine d’années, Paul Théraneau (Fabrice Luchini) se retrouve en panne d’idées. Pour relancer la machine, une jeune et brillante diplômée en philosophie (Anaïs Demoustier) est chargée de l’accompagner dans son quotidien. Dans Le Grand Jeu, son premier film, remarqué et singulier, Nicolas Pariser abordait le monde politique dans un thriller lyrique sur fond de manipulation. Quatre ans plus tard, la question de l’engagement s’envisage ici sous la forme dune fable-réaliste aux intonations rhomériennes parfaitement assumées. L’humour savamment pesé allège l’emballage pour donner tout son poids à la réflexion. Dans les coulisses du pouvoir, le remue-méninges incessant des marketeurs du Nouveau Monde se transforme en poudre de perlimpinpin.
On fait quoi, alors ?
L’impuissance de Théraneau inquiète tout le monde. A commencer par l’édile lui-même. Aucune idée nouvelle ne jaillit de son esprit pourtant si fécond jusqu’à présent. Au pas de course d’un agenda surbooké, le sexagénaire balade son spleen de réunions en commémorations, de débriefing en interviews. Autour de lui, une équipe de collaborateurs au top s’affaire. Dans un mélange de novlangue et de formules réchauffées les concepts prétendument disruptifs abondent. Pour quel résultat ? Aucune importance ! Communiquer en permanence, voilà l’essentiel. Tout cela prête souvent à sourire, à rire même, mais sans une once de cynisme. La satire tendait les bras mais Nicolas Pariser ne tombe jamais dans cette facilité. Aucune condescendance pour ces femmes et ces hommes qui ne savent pas toujours ce qu’ils font mais qui veulent le faire bien.
Le projet Lyon 2500 ans doit conjuguer histoire et modernité. L’urgence écologique au cœur des engagements ne doit pas être un frein au développement. Les différents échanges, pas seulement entre Alice et le maire, dirigent tout en finesse le récit. Pour nous conduire face à nos propres contradictions. Au sujet de sa compagne, Gauthier, le fidèle ami d’Alice, se désole : « Je ne sais pas si c’est le fait de vouloir être lucide qui la rend folle ou si c’est sa folie qui l’a rend lucide ». Dans cette période où tout s’accélère, Alice et le maire décident respectivement de ralentir leurs carrières, d’ouvrir la porte à l’incertitude. Une solution parmi tant d’autres. Le refus de tout dogmatisme idéologique incline le point de vue tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ; le subtil équilibre du film se nourrissant de ce balancement permanent. Les constats politiques et sociaux ne sont guerre réjouissants, mais pas de quoi être cependant pessimiste. L’humour et la bienveillance jamais naïve des personnages ont de quoi nous revigorer, mais sans pour autant inciter à l’optimisme.
Bien plus qu’un véritable savoir-faire
Concilier divertissement et réflexion ontologique est une ambition des plus casse-gueule. L’efficacité d’une comédie repose sur une mécanique parfaitement huilée dont le tempo risque de tout emporter sur son passage. Ici, si le rythme des péripéties ne faiblit jamais, il s’accompagne d’une respiration naturelle propice à la prise de recul. La spontanéité des situations nous feraient presque oublier la belle qualité de l’écriture. L’empathie, y compris pour les personnages périphériques, repose sur des doutes si proche des nôtres.
Modeste, Nicolas Pariser loue la qualité de ses deux têtes d’affiche pour ne pas mettre en avant ses propres mérites. Et notamment ceux liés à la mise en scène des personnages. L’éloquence de Luchini produit tous ses effets lorsqu’elle sait se faire désirer. Contrairement à un bon nombre de ses films, ce n’est pas l’acteur qui mène la danse. Son Paul Théraneau vacille, Alice, finement interprétée par la pétillante Anaïs Demoustier, donne alors la leçon. Savoureuse inversion des rôles ; la jeune femme cherche à stimuler la curiosité intellectuelle de son aîné en lui offrant des classiques littéraires. La complicité qui s’installe au sein du duo trouve son apogée dans un plan séquence d’un naturel désarmant. Doux moment de bonheur écranique.