The French Dispatch

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The French Dispatch. Le film de trop ?

À la sortie du très attendu nouveau film de Wes Anderson, The French Dispatch, une question revient dans toutes les conversations : serait-ce le film de trop ? Ce n’est certes pas la première fois, on irait presque jusqu’à dire que la question revient à chaque nouvelle réalisation de sa part, mais il semblerait que cette fois-ci ce soit différent. Il n’y a plus réellement deux camps qui s’opposent, les détracteur.ice.s de l’un et les inconditionnel.le.s de l’autre, mais plutôt une idée commune plus ou moins difficile à accepter. Avec The French Dispatch la réponse est quasi unanime : Oui. Wes Anderson a atteint sa limite.

Édito

Anderson est un cas unique, il réalise des films que personne ne pourrait réaliser à sa place. Ils sont lui, il est eux. Son œuvre est gravée dans son ADN et personne ne chercherait à le nier tant ce qui fait un film d’Anderson est lié à Anderson lui-même. De la typographie à laquelle il voue une véritable obsession, en passant par son esthétique à la fois kitsch et symétrique pour en arriver aux thématiques récurrentes de la famille, de la quête de soi et de l’amour, issues de son histoire et de ses traumatismes personnels. Le réalisateur n’existe pas en deux exemplaires, on l’aura compris. Et souvent ce mélange de personnages rocambolesques, un brin losers, qui évoluent dans des décors de maison de poupée en proie à des questions profondes sur le sens de l’existence, ça fonctionne. Il y a sept ans, The Grand Budapest Hôtel (2014) fut un succès mondial, son énième collaboration à l’écriture avec Roman Coppola sur Moonrise Kingdom (2012) a créé un film devenu culte, symbole du véritable amour, pour un nombre incalculable de jeunes et de moins jeunes. Les films de Wes Anderson arrivent à fédérer, réunir. Pourtant malgré une admiration dévorante et constante de la part de ses fidèles, d’autres voient en ses films une ode à la sur-esthétisation et des sujets qui tournent en rond. Alors… Véritablement film de trop ?

Léa Seydoux in the film THE FRENCH DISPATCH. Photo Courtesy of Searchlight Pictures. © 2021 20th Century Studios All Rights Reserved

 

Récit 1. Déjà-vu

A Ennui-sur-Blasé, France, le rédacteur en chef de The French Dispatch vient de rendre l’âme, on découvre alors à la manière d’un journal que l’on feuillette, trois des meilleurs récits des rédacteurs et rédactrices du magazine qui s’apprête à sortir son ultime numéro. La conception du film n’est certes pas inédite mais elle fonctionne bien, on appréciera l’humour de prendre au pied de la lettre le thème du film dans la réalisation même de celui-ci. Le casting n’est pas non plus dépaysant et pour peu que l’on ait déjà vu un film ou deux d’Anderson on y retrouve assez vite des têtes familières. Bill Murray, Tilda Swinton, Owen Wilson, ou encore Adrien Brody pour ne citer qu’elles.eux. Anderson fait la part belle a ses acteurs et actrices fétiches. On notera tout de même un joli casting français — Cécile de France, Léa Seydoux et Guillaume Gallienne de la Comédie Française par exemple ; qui vient presque pour sinon légitimer, au moins appuyer le côté frenchie du métrage.

On s’engage donc dans les récits, et c’est là que l’on plonge, se fait happer même, dans une farandole de personnages et d’histoires qui s’entrecoupent voire s’entremêlent. On retrouve tout ce qui fait un film d’Anderson mais poussé presque à l’extrême. La créativité semble être le maître mot en matière de mise en scène : théâtre filmé, faux diaporama. Le réalisateur qui est si célèbre pour son imagerie kitsch aux couleurs pastels teintées de jaune et de moutarde propose cette fois-ci une cassure nette avec de nombreux plans en noir et blanc qui semble intervenir de manière aléatoire, offrant ainsi aux scènes des airs empruntés au cinéma burlesque. Le métrage devient presque difficilement accessible, même pour une audience familière avec le réalisateur. Les personnages sont si nombreux sur la grosse heure et demie que dure le film qu’on peine à réellement se connecter et s’attacher à eux. Peut-être alors qu’en effet Wes Anderson est bien arrivé au bout de ce qu’il pouvait proposer.

Timothée Chalamet and Lyna Khoudri in the film THE FRENCH DISPATCH. Photo Courtesy of Searchlight Pictures. © 2021 20th Century Studios All Rights Reserved

 

Récit 2. Et pourtant.

Lire le journal, c’est plonger dans une histoire avec une intensité proportionnelle à la durée de celle-ci, plus elle est brève et plus l’impact sera grand au moment de la lecture. Pourtant une fois finie on passe à un autre sujet, une autre histoire, au reste. Et c’est exactement ce qu’il arrive avec les personnages de The French Dispatch, y en a-t-il trop ? Ou le rendu est-il similaire à ce qu’un magazine aurait à offrir en terme d’implication émotionnelle ? Nous penchons pour la seconde réponse. Anderson est un réalisateur connu pour sa minutie et son sens du détail. Il a déjà travaillé dans nombre de métrages avec plusieurs histoires et personnages entrelacés sans jamais tombé dans ce semblant de détachement. Le film est un journal et les personnages y sont de simples sujets.

Quel crime aviez-vous commis ?

– L’amour. Il n’est pas bon d’aimer au mauvais endroit.

Dans l’entièreté de son œuvre Anderson a abordé des sujets profonds avec ce mélange très caractéristique de poésie, de drôlerie sarcastique et d’une profonde tristesse qui donne à ses histoires la force incommensurable de s’ancrer dans le cœur des spectateur.ice.s. Et aussi incroyable que cela puisse paraître il réalise avec The French Dispatch un véritable tour de force : réussi à insuffler ce même cocktail émotionnel malgré l’impossibilité de se centrer et de développer en profondeur des personnages. Le ton entier du film est à mi-chemin entre l’évocation de sujets historiques romantisés comme l’industrialisation ou les révoltes étudiantes et le refus de la guerre, et le parti pris à peine dissimulé sur des sujets de société clivants comme la différence que l’on fait entre l’homme et l’artiste, le racisme ou encore l’homophobie. Wes Anderson prend parti, glisse ça et là des opinions et fait de The French Dispatch un véritable journal, un magazine perméable à l’opinion des personnes qui le créent.

Jeffrey Wright in the film THE FRENCH DISPATCH. Photo Courtesy of Searchlight Pictures. © 2021 20th Century Studios All Rights Reserved

 

Récit 3. Mais alors ?

J’ai une façon de filmer les choses, de les mettre en place et de concevoir les plateaux de tournage. Il y a eu une époque où j’ai pensé que je devrais changer ma façon de faire, mais en vérité, c’est ce que j’aime faire. C’est mon écriture en tant que réalisateur en quelque sorte. Et à un moment donné durant cette réflexion, je crois que j’ai pris la décision : je vais écrire avec ma propre écriture. ❞ 

Wes Anderson n’a jamais eu prétention à révolutionner quoi que ce soit, ni même à se servir de son esthétique pour combler un manque de propos ou de scénario. Anderson est simplement une personne qui fait des films pour s’exprimer comme d’autres écriraient dans un journal ou parleraient à leurs ami.e.s. Réfléchir à si The French Dispatch est oui ou non le film de trop d’Anderson c’est se tromper à la fois de sujet et sur la vocation même du cinéaste. Il n’y aura jamais de film de trop pour Anderson à partir du moment où celui-ci ne les fait pas tant pour les autres que pour lui-même. Dans cette optique il est tout aussi inutile de s’évertuer à lui reprocher le non-renouvellement de son esthétique. On oublie trop souvent que le cinéma n’a pas comme unique vocation de repousser ses propres limites ou d’interroger son dispositif, ni même de chercher une nouvelle façon de faire du cinéma. Mais qu’à la manière d’essayistes, certains cinéastes expérimentent, soupèsent, testent. Qu’on soit sensible ou non à la patte de Wes Anderson, il est certain que The French Dispatch relève bien d’une telle démarche, et qu’en cela il se suffit à lui-même. Non, ce n’est pas le film de trop.

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