Piranhas

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Portrait d’une nouvelle génération de mafieux napolitains ou le règne du mineur.

Ceux et celles qui ont vu le film Gomorra (2008), de Matteo Garrone, gardent peut-être sur leurs rétines sa saisissante scène d’ouverture : dans un solarium dont les rayons bleu électrique colorisent le cadre entier de l’image, des mafieux prennent soin d’eux avant de se faire brutalement assassiner, le sang giclant sur leur peau nourrie aux U.V, laissant un goût amer de rutilance, offerte par l’argent sale et noyée dans la mort, sur fond enlevé de variété italienne. Ce long métrage, sans doute le plus acéré et éloquent de ces dernières années dans sa représentation de la camorra, mafia qui gangrène le sud du pays (avec d’autres comme la ‘Ndrangheta calabraise), s’appuyait sur l’œuvre éponyme de Roberto Saviano, journaliste combatif et courageux qui a fait de la mafia le sujet d’investigation de sa vie, au point de vivre caché et sous protection policière depuis huit ans, sa tête mise à prix suite à la « déflagration » d’informations provoquée par la publication de son livre.

Cette « obsession » pour la mafia, selon le mot employé par l’écrivain lui-même, traverse une partie du cinéma italien contemporain (on pense dernièrement aux beaux L’Intrusa de Leonardo Di Costanzo, et Sicilian Ghost Story de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, en 2017), et pour cause elle constitue une gangrène sérieuse dans la gorge de l’Italie. Ce sujet est donc au cœur de Piranhas de Claudio Giovannesi, adapté cette fois d’un roman éponyme de Saviano. On y retrouve des figures à la Ciro et Marco dans Gomorra, gamins en déroute qui jouaient à Scarface, se prenant pour les rois du monde avant de finir dans une benne à ordures, ayant lassé des plus sérieux qu’eux. A ceci près que l’escadron de jeunes napolitains du quartier de Rione Sanita filmé dans Piranhas est formé de garçons plus juvéniles encore, les « baby gangs » qui forment la relève locale, avec à l’heure tête Nicola (Francesco di Napoli), beau et si vivant « ragazzo di vita » pasolinien d’à peine quinze ans, qui décide de s’allier avec Agostino (Pasquale Marotta), le fils d’un mafieux déchu, pour reprendre les rênes du quartier afin de stopper le racket dont sont victimes sa mère et la plupart des habitants. Un sentiment d’injustice si vif qu’il pousse l’adolescent à vouloir prendre le pouvoir, mais traversé par une ambivalente admiration pour les vies faciles des parrains locaux et l’omerta qu’ils imposent.

 

 

Entre âpreté et fascination

Claudio Giovannesi met en scène cette ambivalence en oscillant entre des scènes réalistes, qui collent à ses jeunes personnages, la caméra vissée sur leurs allers-venues en scooter, leurs parcours dans la ville d’un quotidien en roue libre, et en travaillant l’esthétisation de certaines scènes, particulièrement lors de leurs virées en boîte de nuit ou dans l’appartement tout en dorures du père d’Agostino. Le cinéaste compose alors parfois des plans comme une cène avec les huit garçons, les laissant dans une forme de béatitude face aux armes, aux baskets et aux montres de luxe, au son de partitions musicales excitantes. Il devient alors difficile de cerner la particularité du regard posé par le réalisateur sur son sujet entre ces choix plastiques qui traduisent une certaine fascination pour cet univers et une représentation plus rude de la réalité de vies sous la coupe de la mafia (les rackets sur les marchés ou la scène froide de l’arrestation de parrains lors d’un mariage). On est éloigné à la fois de la brutalité sans fard de Gomorra, où un réel blafard disait la chair à canon que sont ces jeunes ; mais aussi d’une transfiguration plus intimiste par la jeunesse (et par le conte) tel qu’on pouvait la voir dans Sicilian Ghost Story.

 

 

Apprentissage et « baby gangs »

Le cinéaste articule ce récit thématique autour d’un portait de jeune garçon, la trajectoire dans le milieu de la mafia de Nicola est filmée comme un apprentissage, de même que la relation amoureuse qu’il développe avec Letizia (Viviana Aprea), une jeune fille d’un autre quartier de Naples. En filmant ces jeunes, toujours poupons, qui deviennent les shériffs de la ville, sachant à peine recharger une arme, Claudio Giovannesi met en avant la matière au centre du roman de Saviano : le renouvellement générationnel qui a lieu dans le sud de l’Italie au sein des milieux criminels. En cavale ou en prison, les adultes ont comme déserté les lieux, ou sont, comme dans le film, sur le retour et prostrés devant la télévision en raison d’une assignation à domicile. Livrés à eux-mêmes, arbitres de l’anarchie qu’ils sèment, ces « baby-gangs » de la criminalité forment les poches d’une société malade et d’une partie de sa jeunesse laissée pour compte. On aurait aimé sentir davantage les mouvements socio-économiques et culturels de la ville, sa profondeur, pour repérer davantage les dramatiques déraillements à l’œuvre dans la Campanie d’aujourd’hui.

Titre original : La paranza dei bambini

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Durée : 112 mn


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