Sicilian ghost story

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Souhaitant transfigurer un fait divers tragique par le biais du conte, « Sicilian Ghost Story » dévoile une poignante beauté sous sa chape sordide.

Au début des années 1990, Giuseppe di Matteo, fils de treize ans d’un mafieux repenti, Santino di Matteo, est enlevé par des hommes déguisés en policiers dans le manège équestre où il passait son temps libre. Ils lui promettent qu’il pourra retrouver son père, qu’il n’a plus vu depuis des mois. Giovanni Brusca, qui fut l’un des suspects dans l’attentat contre le juge Falcone, organise ce rapt, espérant que Santino cesse toute interaction avec la justice pour sauver son fils. Il n’interrompra jamais cette collaboration. Après presque trois ans de déplacement à travers la Sicile et d’enfermement, Giuseppe sera retrouvé mort, son corps dissous dans de l’acide, signature de pratiques abominables mafieuses en Italie. C’est à partir de ce fait divers sinistre que les cinéastes palermitains Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ont tissé la trame de leur film, Sicilian Ghost Story. Le terrible destin du jeune garçon prend ici le chemin du conte, du fantastique, et cette histoire de fantôme sicilienne navigue dans un fragile et bouleversant équilibre, entre l’apesanteur offerte par l’imaginaire d’une enfant amoureuse et la lourdeur d’une réalité sordide. L’oeuvre élabore une esthétique singulière pour aborder ce fléau mafieux qui continue de gangrener l’Italie contemporaine, comme en attestaient, de manière bien différente, deux très beaux films sortis l’an dernier L’Intrusa (Leonardo Di Costanzo) et A Ciambra (Jonas Carpignano).


Inframonde fantastique et bunker blafard

Dans la forêt de conte d’un village sicilien, Luna (Julia Jedlikowska), manteau rouge de petit chaperon, s’enfonce dans les hauts arbres à la suite de son ami Giuseppe (Gaetano Fernandez), elle tient précieusement une enveloppe bleue habillée d’étoiles entre ses mains, qui contient sa déclaration d’amour à Giuseppe. L’objet accompagne le lien pur entre les deux enfants, porté par les expressions entières émanant des visages des deux jeunes acteurs, et détonne dans cette forêt sur laquelle planent des ombres, où un chien enragé aboie avec violence. Les cinéastes dévoilent un inframonde, secret et inquiétant, son mystère oppressant se perçoit dans les paysages en grand angle qui marquent les plans du film, ils élargissent la vue autant qu’ils donnent l’impression au spectateur d’être enfermé dans un grand aquarium à l’eau épaisse et sombre. Des zones de flou dans l’image épient l’opacité des mouvements de ce territoire à la fois menaçant et irréel, lieu de non droit borné par un grand lac silencieux et un bunker blafard coulé dans du béton, qui deviendra la geôle de Giuseppe.


« Giuseppe non c’è e tu che fai ? »

Lorsque le garçon disparaît, peu de temps après avoir reçu la lettre de Luna et lui avoir témoigné la réciprocité de ses sentiments, celle-ci se met rapidement à sa recherche, inquiète de son absence brutale. Seule dans ce trouble, sa famille (surtout sa mère, mise en scène avec l’inquiétante allure d’une sorcière des Frères Grimm) est rétive à considérer cette disparition, par peur d’avoir maille à partir avec l’environnement mafieux dans lequel baignait Giuseppe. Luna va briser cette omerta, cherchant à résoudre l’enquête de sa disparition face à des policiers démobilisés par peur de représailles, et des villageois taiseux. Le film développe une réalité alternative au gré de la personnalité de la jeune fille, de ses dispositions psychologiques et de sa progression dans le monde noir qui la sépare de son ami. Les intérieurs, y compris la maison de Luna, sont filmés comme des cloîtres caverneux, sa chambre se décore de grands arbres perdus dans un labyrinthe, les geôliers mafieux – dont l’un avec ses grands ongles – sont présentés comme de terribles figures de farce. La photographie du film contribue à cette perception particulière que suscite l’atmosphère à l’oeuvre, oscillant entre la luminosité d’une nature grandiose et la grisaille glauque du lieu de rétention de Giuseppe. Il y a quelque chose d’émouvant et de perturbant dans la poétique de superposition à laquelle se livrent les deux cinéastes. Ce mélange de registres et d’esthétique n’est pas sans risque, à ce titre, la dernière partie du long métrage n’est pas dépourvue d’affliction dans la mise en scène du calvaire enduré par Giuseppe et l’étau de la réalité la plus noire se referme sur le pas de côté salvateur du conte, arrimé aux figures d’amoureux tragiques des deux enfants. Néanmoins, Sicilian Ghost Story maintient jusqu’au bout son parti pris fantômatique et sa beauté, faisant de la terrible fin de Giuseppe une histoire de revenant, plutôt que de disparition.

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Durée : 117 mn


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