Inframonde fantastique et bunker blafard
Dans la forêt de conte d’un village sicilien, Luna (Julia Jedlikowska), manteau rouge de petit chaperon, s’enfonce dans les hauts arbres à la suite de son ami Giuseppe (Gaetano Fernandez), elle tient précieusement une enveloppe bleue habillée d’étoiles entre ses mains, qui contient sa déclaration d’amour à Giuseppe. L’objet accompagne le lien pur entre les deux enfants, porté par les expressions entières émanant des visages des deux jeunes acteurs, et détonne dans cette forêt sur laquelle planent des ombres, où un chien enragé aboie avec violence. Les cinéastes dévoilent un inframonde, secret et inquiétant, son mystère oppressant se perçoit dans les paysages en grand angle qui marquent les plans du film, ils élargissent la vue autant qu’ils donnent l’impression au spectateur d’être enfermé dans un grand aquarium à l’eau épaisse et sombre. Des zones de flou dans l’image épient l’opacité des mouvements de ce territoire à la fois menaçant et irréel, lieu de non droit borné par un grand lac silencieux et un bunker blafard coulé dans du béton, qui deviendra la geôle de Giuseppe.
« Giuseppe non c’è e tu che fai ? »
Lorsque le garçon disparaît, peu de temps après avoir reçu la lettre de Luna et lui avoir témoigné la réciprocité de ses sentiments, celle-ci se met rapidement à sa recherche, inquiète de son absence brutale. Seule dans ce trouble, sa famille (surtout sa mère, mise en scène avec l’inquiétante allure d’une sorcière des Frères Grimm) est rétive à considérer cette disparition, par peur d’avoir maille à partir avec l’environnement mafieux dans lequel baignait Giuseppe. Luna va briser cette omerta, cherchant à résoudre l’enquête de sa disparition face à des policiers démobilisés par peur de représailles, et des villageois taiseux. Le film développe une réalité alternative au gré de la personnalité de la jeune fille, de ses dispositions psychologiques et de sa progression dans le monde noir qui la sépare de son ami. Les intérieurs, y compris la maison de Luna, sont filmés comme des cloîtres caverneux, sa chambre se décore de grands arbres perdus dans un labyrinthe, les geôliers mafieux – dont l’un avec ses grands ongles – sont présentés comme de terribles figures de farce. La photographie du film contribue à cette perception particulière que suscite l’atmosphère à l’oeuvre, oscillant entre la luminosité d’une nature grandiose et la grisaille glauque du lieu de rétention de Giuseppe. Il y a quelque chose d’émouvant et de perturbant dans la poétique de superposition à laquelle se livrent les deux cinéastes. Ce mélange de registres et d’esthétique n’est pas sans risque, à ce titre, la dernière partie du long métrage n’est pas dépourvue d’affliction dans la mise en scène du calvaire enduré par Giuseppe et l’étau de la réalité la plus noire se referme sur le pas de côté salvateur du conte, arrimé aux figures d’amoureux tragiques des deux enfants. Néanmoins, Sicilian Ghost Story maintient jusqu’au bout son parti pris fantômatique et sa beauté, faisant de la terrible fin de Giuseppe une histoire de revenant, plutôt que de disparition.