Scarface (Brian De Palma, 1983)

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Tony, en plein rêve.

Scarface – Tony Montana. Un film, son personnage principal, et certainement deux des noms les plus cités si l’on interrogeait des spectateurs sur l’exemple incarnant pour eux le mieux l’ascension sociale au cinéma, et sa personnification la plus illustre. Plus de trente ans après sa sortie, l’aura que le film s’est forgé est intacte – en attestent les innombrables produits dérivés -, et Tony Montana s’est érigé en véritable icône, autant pour l’objet de projection qu’il constitue que pour le souvenir de la performance Actors Studio magistrale d’Al Pacino.

« Look at these… Fucking onions ! They outta be picking gold off the streets. » 

Remake du film de Howard Hawks sorti en 1932, le Scarface (1983) de De Palma suit en effet, sur plusieurs années, les pas du Cubain Tony Montana (Al Pacino), petite frappe émigrant aux États-Unis en 1980, après avoir été, comme beaucoup de ses compatriotes, expulsé par le régime de Fidel Castro. Dès son arrivée sur le sol américain, sa conception de la réussite apparaît intimement liée à son activité criminelle, chacune des missions accomplies, si sordide soit-elle, lui permettant d’affirmer son ambition et de se faire une place au sein de la pègre locale. Peu regardant quant aux moyens d’arriver à ses fins, il lui faut seulement quelques années pour s’adjuger la quasi-totalité du trafic de drogue à Miami. La trajectoire est parabolique : parti de rien, Tony se retrouve rapidement avec trop et file – on le devine rapidement – vers un déclin tragique. Schéma narratif classique fait de montées et de descentes, miroir du mode de fonctionnement de Tony Montana lui-même, dont l’humeur oscille au gré de sa (sur) consommation de drogue.

 

« The world is yours. »

Pourtant, ne voir Scarface qu’à travers l’ascension et le déclin de son personnage principal, c’est ne pas comprendre le regard que De Palma porte sur ce qu’il filme. Depuis la scène d’ouverture dans le commissariat jusqu’à celle du restaurant dans laquelle Tony, défoncé comme jamais, se donne en spectacle, le mouvement du film n’est jamais autant ascendant que rotatif : dans les deux cas, c’est le travelling circulaire qui épouse la figure de Tony. Fraîchement débarqué à Miami ou à la tête d’un prodigieux réseau de drogue, il nous est montré à travers le même mouvement, la caméra tournant autour de lui pour revenir à son point initial, où il se trouvait avant de se lancer dans ses inepties. Ce cercle apparaît alors comme le vrai symbole du film, le mouvement constituant en définitive la vision qu’a le cinéaste de la trajectoire de son personnage et, a fortiori, du rêve américain. L’univers visuel de Scarface est ainsi inondé de cette figure (piscine, baignoire, tables), comme pour rappeler le monde clos dans lequel évolue Tony, ou plutôt, celui qu’il s’est créé au fur et à mesure de son ascension.


« In this country you gotta make the money first. Then when you get the money you get the power. »


Lorsqu’il quitte Cuba pour Miami, Tony Montana voyage avec une certaine idée du rêve américain. Une image préconçue, très nette, de ce que sera sa réussite. Celle-ci est éminemment matérialiste et s’incarne à l’écran par son (mauvais) goût pour les dépenses, chacune témoignant de sa mégalomanie. À ce titre, la villa que s’offre Tony, et dans laquelle il se cloître de plus en plus, est sans doute l’incarnation la plus monstrueuse de la réussite telle que la conçoit le personnage. Surgissant de nulle part, on se demande comment il a pu y entasser toutes ces statues, ces couleurs et ces tableaux ; on devine simplement qu’elle correspondait à son idéal de succès. C’est en cela que l’ascension du personnage fascine : elle est comme programmée, guidée par tout ce que la société de consommation américaine a pu avoir de néfaste sur la conception de la réussite d’un jeune immigré cubain. Tony se contente alors de dépenser son argent à la manière dont le font ceux qui en ont, à la manière dont le fait la pègre qui l’entoure ou qui l’a précédé.

 

« Don’t get high on your own supply. »

Tony serait en quelque sorte un maniériste créant son image en se calquant sur celles qui lui auraient auparavant été plaquées. C’est sans doute en cela que De Palma (dont on sait qu’il fut sans doute le cinéaste le plus critiqué pour son maniérisme) trouve quelques circonstances atténuantes à son personnage. Certes, il le dépeint avant tout comme un ringard au costard trop large, sacrifiant son meilleur ami Mani (Steven Bauer), se comportant d’une manière horrible avec sa femme Elvira (Michelle Pfeiffer), depuis sa demande en mariage risible jusqu’à la déchéance que sera leur vie conjugale. Mais ce regard sombre et moqueur se teinte par endroits d’un sentiment de bienveillance, comme peut l’éprouver le spectateur par pure compassion, comme un cinéaste peut l’avoir pour sa création, si dégoûtante soit-elle. La seule tentative de rédemption de Tony – qu’on la trouve ridicule ou touchante, là n’est pas la question – se trouve ainsi dans la scène à la tension la plus hitchcockienne du film, lorsque Tony se refuse à faire exploser une bombe placée sous la voiture d’un journaliste, celui-ci étant accompagné de sa femme et de ses enfants. De Palma convoque Hitchcock et se rapproche ainsi de Tony, lui offrant une porte de sortie. Son destin est scellé dans cette séquence, le final n’étant qu’un baroud d’honneur, l’ultime excentricité d’un personnage perdu dans sa démesure, shooté à sa propre conception de la réussite.

Titre original : Scarface

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Durée : 170 mn


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