Caméra d’or au festival de Cannes 1986, le premier film de Claire Devers ressort le 8 février 2023 en version restaurée.
Antoine (Francis Frappat), jeune comptable dont la rectitude morale n’a d’égale que sa rigidité corporelle, découvre des sensations interdites dans les mains expertes d’un masseur antillais. Très libre adaptation d’une nouvelle de Tennessee Williams, Le masseur noir, le film de Claire Devers magnétise par son minimalisme et sa constante froideur. Le soin quasi permanent apporté à composition du cadre s’inscrit dans une volonté d’économie narrative et explicative. Le format 4/3 renforce l’efficacité de la démarche. Á l’instar du premier échange entre Antoine et Dominique (Jacques Martial), un face à dos durant lequel l’imposante silhouette du masseur noir enferme l’espace vital de son futur partenaire. Dans l’importance accordée aux gestes, l’échange de billets par exemple, se retrouve une précision toute bressonienne. Un héritage que l’on retrouve également dans la rudesse de certaines situations et dans le refus d’empathie avec des personnages aux obscures motivations. Seule une courte scène dans laquelle Antoine revient sur sa transformation apparait comme un prélude d’explication. Contribuant à la permanente étrangeté, l’ atmosphère atemporelle doit beaucoup au délicat travail sur le noir et blanc. L’aspect granuleux, froid et grisâtre du début laissant progressivement sa place à des noirs profonds et des lumières tamisées.
Quels plaisirs les deux hommes peuvent-ils éprouver dans leurs rapports physiques ? Tandis que le visage de Dominique restera toujours impassible ou dans l’ombre, celui d’Antoine trahira tout au plus une forme de libération. Invités aux premières séances qui voient les mains de Dominique marteler vigoureusement le dos de son patient, nous serons par la suite exclus des lieux. Difficile de statuer sur la nature des gémissements qui nous parviennent en échos : souffrance ou plaisir ? Le sang et la scatologie s’invitent tout à tour dans la partie, sans une once de provocation. Tandis que les puissantes machines à vérins suscitent d’excitantes fascinations. La façon dont ce dernier thème est ici abordé pourrait bien avoir inspirée Alain Guiraudie pour Ce vieux rêve qui bouge (2001).
Principalement de nos jours, il est difficile de ne pas relever la répartition apparemment binaire des fonctions. L’Homme blanc est un intellectuel ou bien un homme d’affaires ambitieux (patron de la salle de sport), quant au Mâle noir, c’est essentiellement grâce à sa musculature qu’il peut seulement tenter de s’imposer. (La représentation du rapport hommes-femmes semble également schématique). Mais on aurait cependant bien tort de s’engouffrer dans une lecture sociale ou « raciale » des rapports humains. En effet, pour Claire Devers, il n’est jamais question de soulever des problématiques d’ordre statutaire. Notamment celle liée à la répartition des rôles dans la dépendance physique des deux hommes. Existe-t-il un dominant et un dominé ? Sûrement pas. L’ultime évolution de cette sibylline relation que le récit laissera en suspens entérine cette volonté d’opacité. L’absence totale de positionnement et surtout de jugement font que, plus de trente-cinq ans après sa sortie, Noir et blanc reste une œuvre toujours aussi saisissante et troublante.