Un réchauffement sentimental
Une nuit, sous la pluie, une jeune femme dépose son bébé devant un centre d’abandon sous les yeux de deux policières, très vite elle se sent coupable… Sous les étoiles suis le cheminement de So-Young, une mère solitaire cherchant à faire adopter son enfant et qui s’associe à Dong-Soo et Sang-Hyeon, deux trafiquants de bébés. Alors qu’elle part avec eux sur une route de Corée du Sud pour trouver le riche couple susceptible d’acheter correctement le bébé, le trio est vite rejoint par un jeune gamin, lui-même orphelin, tandis qu’ils sont poursuivis et observés par deux policières en quête de flagrant délit.
Ça n’est donc pas tout à fait un film à suspense, mais plutôt un road movie que met en scène Hirokazu Kore-Eda. Un road movie au travers duquel le groupe que forment ses personnages prend, à mesure que l’intrigue progresse, que les protagonistes apprennent à s’apprivoiser et qu’éclot l’émotion, une allure de famille recomposée. Basée sur une structure scénaristique rigoureuse, la progression du film se ressent au travers de l’abandon progressif des attitudes froides et détachées qu’abordent les personnages au début de l’œuvre, pour prendre, à mesure que les masques tombent et que des vérités soient révélées, des comportements sentimentaux et émotifs. Cette progression assure un magnétisme certain au film et la beauté essentielle Des bonnes étoiles réside ainsi pour beaucoup dans la mise en scène de personnages riches et complexes, parvenant à dévoiler des facettes insoupçonnées de leur personnalité et à retourner tout jugement moral que pourrait leur porter le spectateur contre lui.
Naturalisme moral
Comme pour ses précédentes œuvres, Kore-Eda recourt à une esthétique classique, naturaliste, en inscrivant son action au sein de décors banaux filmés au travers de cadres majoritairement fixes et proches des personnages. Des cadres qui répondent aussi, discrètement, à la progression de l’intrigue en s’élargissant parfois et, rarement, en se déplaçant en travelling. Mais c’est peut-être aussi là que se trouve l’un des défauts du film : son esthétique naturaliste tant à être un peu trop sage, à manquer d’ampleur et, somme toute, de dynamisme, ce qui finit par donner une légère sensation de flottement de l’histoire. Couplé à un humour et un second degré un peu trop rare (bien que ponctuellement présents) l’on obtient ainsi une sorte d’esprit un peu trop sérieux qui tend à atténuer la puissance de l’émotion contenue dans la résolution de l’intrigue. Ajoutons à cela que les quelques musiques présentes ne servent essentiellement qu’à appuyer des séquences déjà chargées en émotions et, ainsi, épaississent le trait ; ce qui donne des accents mélodramatiques un peu faciles à certaines séquences.
Mais le plus gros défaut Des bonnes étoiles est ailleurs et réside dans certains de ses dialogues. Par instant, ces derniers se font bien trop explicatifs et démonstratifs à l’égard des sujets abordés frontalement par les personnages au cours de leurs confrontations ; ces sujets allant de l’abandon d’enfant à celui de l’avortement. La nature démonstrative de ces discours témoigne d’une volonté du réalisateur de montrer objectivement la complexité des sujets qu’il aborde, mais ce qu’il gagne en clarté il le perd en subtilité. De plus, cette recherche d’objectivité le pousse à ne pas vraiment prendre parti pour les questions soulevées, ce qui se traduit scénaristiquement par une mise sur un pied d’égalité des personnages qui débattent et qui semblent dès lors avoir tous deux raison. Ce problème finit par donner un aspect surplombant au point de vue de l’auteur vis-à-vis de ses personnages et des enjeux de son film, et ce faisant, dans ces instants, il donne à ce même point de vue un aspect moralisateur. Cette morale qui a pour conséquence de rendre le film quelque peu maladroit.
Le groupe et la critique
Toutefois, il faut reconnaître que le parti pris du classicisme naturaliste employé par Kore-Eda lui sert aussi d’outil pour porter un puissant message politique. Ainsi, en début de film, la froideur des décors, couplé au naturel spontané, détaché et désarmant des personnages, lorsqu’ils discutent avec légèreté d’abandon ou de vente d’enfants, pendant que certains couples n’hésitent pas à marchander le prix du bébé en fonction de normes physique (l’épaisseur des sourcils étant un critère très sélectif) permet aux Bonnes étoiles de matérialiser une critique acerbe de la société de consommation moderne. Soit une société où tout se vend et s’achète, enfants inclus. Et la facilitation de l’entreprise des protagonistes grâce à internet, aux réseaux sociaux, comme la superficialité des critères déterminant la valeur des enfants, renvoient aux tendances narcissiques de l’époque, accentuent encore l’âpreté de cette critique.
Il faut enfin rappeler que le prix d’interprétation masculine à Cannes pour Song-Kang Ho (l’acteur principal de Parasite) est pleinement mérité et l’on pourrait même affirmer que c’est à l’ensemble du groupe d’acteurs auquel il eut fallu décerner un prix. Très proche dans son état d’esprit des précédentes œuvres de Kore-Eda, comme Tel père tel fils ou Une affaire de famille, Les bonnes étoiles, par certains de ses traits mélancoliques et sa passion pour l’enfance comme de l’énergie qui en découle, n’est pas non plus sans évoquer certains films de Takeshi Kitano. Ainsi, l’œuvre, malgré ces quelques défauts, demeure riche, qualitative, et ses deux heures ne paressent jamais vraiment longues. Et l’on se plaît ainsi à prendre un authentique plaisir à observer cette famille patchwork, on finit même par regretter qu’elle ne puisse véritablement exister, si ce n’est au cinéma.