L’aspect le plus pertinent et le plus réussi du film tient dans l’opposition violente entre grande bourgeoisie (à la ville) et classe moyenne inférieure (à la campagne) : obsédé par la réussite sociale et professionnelle, le père de Keita est favorable à l’échange pour que son fils biologique, Ryusei, accède aux mêmes privilèges que lui. L’enjeu est dans la transmission d’un patrimoine plus que dans l’instauration de liens affectifs, et l’homme ira jusqu’à proposer une grosse somme aux parents de Ryusei pour sceller l’accord – la scène est cruelle, un peu dichotomique (l’autre famille s’emporte et s’offusque que leur intégrité puisse ainsi être monnayée), mais a le mérite de soulever la question épineuse des rapports de classe au Japon. Ce qui pose plus problème, c’est que Kore-eda semble s’être, depuis I Wish, engagé dans une veine sentimentaliste un peu cucul : là où Nobody Knows osait le crève-cœur avec un final d’une noirceur absolue, Tel père tel fils finira par ménager tout le monde en bout de course.
Tel père, tel fils
Article écrit par Jean-Baptiste Viaud
Kore-eda Hirokazu poursuit dans la veine humaniste et remet l´enfant au centre.
De Kore-eda, on avait beaucoup aimé After Life (1998), Nobody Knows (2004) et Still Walking (2009) ; un peu moins les plus récents Air Doll (2011) et I Wish (2012). Son nouveau film, Tel père tel fils, prix du Jury au dernier festival de Cannes, poursuit dans la droite lignée de ce dernier, en un brin plus désenchanté. Un couple bourgeois tokyoïte apprend, six ans après sa naissance, que leur fils Keita n’est en fait pas le leur. À la maternité, il avait été échangé avec Ryusei, élevé par un couple bien plus modeste. Les quatre parents sont bien obligés de se rencontrer, de digérer la nouvelle comme ils peuvent et d’envisager la suite : échanger ? Faire comme si de rien n’était ? L’argument, à défaut d’être totalement original, est assez douloureux, et Kore-eda réussit à merveille à transmettre le chamboulement causé par la nouvelle situation, aussi bien chez les adultes que chez les enfants, soudainement ballottés entre deux familles et qui ne comprennent pas très bien ce qui se joue.
Cela étant dit, il reste un cinéaste délicat, plein de tact, qui aime ses personnages et les place, tour à tour, dans des situations où il leur faut constamment s’interroger. Son cinéma est celui de la remise en question, des prises de décision (souvent douloureuses). Surtout, il montre l’enfance avec une grande justesse, filmant à leur hauteur et déplaçant sans cesse les enjeux entre les considérations des enfants et celles de leurs parents. Il sait, aussi, faire surgir l’émotion dans des scènes qu’on devine un peu à l’avance mais qu’il parvient presque toujours à désamorcer à temps, pour les faire dévier vers une conclusion qu’on attendait moins et qui finit par toucher. L’équilibre est précaire, toujours chancelant, et Tel père tel fils n’atteint pas les sommets d’un Still Walking – il lui reste la douceur, des plans urbains d’une beauté certaine et quelques scènes subtilement bouleversantes que Kore-eda est l’un des rares à savoir mettre en scène.