Le Limier (sortie en DVD et BLU-Ray chez Colored Films).

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Une joute filmique.

1992. Attiré par la jaquette d’une VHS reproduisant l’affiche du film, et par les noms des acteurs y figurant, je me procurai cette cassette sans connaître initialement l’effet quasi indicible que ce long-métrage allait me procurer. Les années passent, et la VHS, au fil des projections, montre des signes d’usure. Je décide de la numériser via un DVD vierge, en attendant avec ferveur une sortie en support DVD. J’attends, j’attends, mais, exceptée une version anglaise sans sous-titres français, l’espoir de pouvoir trouver une édition multi-langues s’estompe. Plus de trois décennies depuis ma VHS, plus de 30 ans d’infinie patience, et mes vœux sont comblés : enfin, en DVD et en BLU-RAY, Sleuth apparaît, réapparaît, en France, dans une version digne de son prestige.

SleuthLe Limier. Décrire cette œuvre revient à s’engouffrer dans une lecture infinie, comme si nous nous trouvions face à une toile de maître du quattrocento, ou une réalisation baroque  : polysémique, riche, flamboyante, Sleuth nous intègre, nous émeut, en un mot nous passionne.

 

Sur un mode en premier lieu divertissant, Le Limier devient subtilement sérieux, mystérieux, angoissant, sans perdre de son aspect ludique. Un riche romancier auteur de romans policiers à l’ancienne (Laurence Olivier, splendide) invite l’amant de son épouse, Milo Tindle (Michael Caine, merveilleux), propriétaire d’origine modeste d’une chaîne de salons de coiffure, pour discuter de cette liaison et proposer à Tindle un ingénieux stratagème de cambriolage qui profitera aux deux hommes. Cette situation initiale les engagera dans un duel ingénieux, pervers, retors. Qui en sortira vainqueur ?

Passé le générique trompeur à plus d’un titre via des images fixes, dont nous saurons plus tard que ce sont des décors miniatures constitués par Wyke pour préparer l’écriture de ses romans de détection, le film commence par l’arrivée en plan d’ensemble d’une voiture arrivant vers un manoir so british, celui de Wyke. Le conducteur du véhicule, Tindle, parcourt les environs du manoir, pour s’arrêter devant le portail d’un jardin labyrinthique. Une plongée nous dévoile une sculpture d’un gigantesque serpent rampant sur une haie, premier signe d’une menace derrière l’esthétique ostentatoire du propriétaire des lieux.  Milo Tindle, attiré par la voix de Wyke dictant son nouveau roman sur un magnétophone et imitant les voix de ses créations littéraires, ne parvient néanmoins pas à trouver la voie lui permettant de retrouver son auteur dans ce dédale. Le romancier, entendant Tindle, décide de lui ouvrir le panneau secret, une haie amovible, afin qu’ils puissent se présenter mutuellement. Un premier jeu, un premier piège ? Wyke est un joueur, nous le devinons alors. Et son immense manoir de campagne à la Tudor regorge de poupées, de pantins, de jeux de fléchettes, de tables d’échecs. Il souhaite ainsi s’amuser avec (et de) Tindle , ce dernier représentant ce qu’il déteste : à moitié britannique, d’ascendance italienne, un accent différent, des vêtements élégants de gentleman country. Milo Tindle – et Wyke, bien informé, le sait- est l’amant de son épouse, et envisage de se marier avec elle. Andrew, étonnamment flegmatique, semble disposé à accepter cette situation- avec un bonheur affiché- mais seulement s’il peut être sûr qu’elle ne reviendra pas. Il veut être sûr que Milo puisse l’entretenir financièrement, et lui suggère de voler les bijoux de la famille Wyke puis de les mettre en gage à Amsterdam chez un receleur de sa connaissance. Milo aura alors une petite fortune et Andrew pourra récupérer l’assurance. Tindle, surpris, ensuite amusé, accepte ce jeu, fasciné par Wyke et par la somme qu’il pourra toucher.

 

Au début, tout dans Sleuth semble si banal que rien ne laisse présager à quel point les évènements vont se complexifier au fil du film : ils vont par la suite devenir dangereux. Andrew et Milo jouent devant nos yeux complices à des jeux d’une telle férocité labyrinthique qu’ils semblent finalement tout oublier de la femme d’Andrew  et être totalement absorbés par une traque mutuelle dans un jeu macabre du chat et de la souris. Sleuth, de divertissement totalement captivant, est tour à tour drôle et effrayant, et toujours superbement théâtral et cinématographique à la fois. C’est le genre de mystère auquel les Britanniques apportent une touche de génie mieux que quiconque. Le film, rappelons-le, est basé sur la pièce de théâtre d’Anthony Shaffer, qui a  également écrit Frenzy d’Hitchcock, réalisé la même année. Les deux films ont en commun un joli sens du dialogue et un délicat contrepoint entre l’ironie et l’horrible.

Ce qui donne semblablement vie au film  sont les performances de Sir Laurence Olivier, et de Sir Michael Caine. Olivier incarne Andrew Wyke comme un véritable excentrique britannique : son esprit, comme sa maison, est encombré d’objets et de jeux. Le héros de ses romans policiers, le merveilleusement nommé St. John Lord Merridewe, est tout aussi matois. Olivier s’amuse clairement dans ce rôle, et il y ajoute toutes sortes d’accents, d’apartés et de puérilités. Michael Caine, qui interprète  Milo Tindle, s’avère être un très bon candidat pour les amusements de Wyke/Olivier. Il parvient à paraître plus effacé et moins assuré qu’Olivier, pour mieux le dominer. Et il est étrangement touchant puisqu’il se déguise en clown absurde pour voler les bijoux.  Le plaisir que nous prenons à voir et revoir Sleuth tient donc et aussi au fait que nous avons la joie d’être les spectateurs d’une confrontation mythique, celle de deux acteurs de générations différentes. Le shakespearien Olivier face au cockney Caine nous procure deux heures de bonheur pur de talent, de jeu.

La transition de la pièce à l’écran est remarquablement menée grâce à la volonté du réalisateur Joseph L. Mankiewicz de respecter le timing et les dialogues originaux, au lieu d’essayer de la dynamiser cinématographiquement. Bien que la majeure partie du film se déroule à l’intérieur du manoir de Wyke, nous n’avons jamais l’impression de limitations visuelles car les décors de Ken Adam nous donnent une multitude incroyable de choses à regarder dignes de notre questionnement au cours du film dans notre parcours du manoir. Les automates et  marionnettes s’animent ou retournent à leur silence selon les rebondissements de l’intrigue, en faveur de l’un ou de l’autre des protagonistes via des inserts singuliers notamment sur le marin rieur Jolly Jack. 

Joseph L.Mankiewicz, dans son dernier opus, a réalisé un film-somme, sur la lutte des classes, la lutte de deux acteurs de classe exceptionnelle, dans un huis clos rempli d’objets nous scrutant, une maison-personnage munie de pièges, de fausses apparences, de labyrinthes naturels ou mentaux, de retournements de situations, de chausse-trappes. Grâce soit rendue à Mankiewicz, le joueur aux mille facettes.

(Le Limier, sortie en DVD et BLU-RAY le 06/09 chez Colored Films).

Titre original : Sleuth

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Durée : 132 mn


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