La Possibilité d’une île

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Pas méchant, peu stimulant, le premier long-métrage de Michel Houellebecq a au moins le mérite de mettre à jour chez l’un des écrivains français contemporains les plus tapageurs une touchante incertitude : celle d’être « apte » à donner corps à un « film », un vrai.

Le premier long-métrage de Michel Houellebecq, romancier « subversif » de son état, a pour grand mérite de ne ressembler qu’à lui-même. En ce sens que jamais ne vient réellement à l’idée du spectateur de chercher – éventuellement trouver – dans cette Possibilité d’une île, une quelconque affiliation cinématographique. Quelque blague belge ne manque pas de faire constater une sympathique aspiration du « cinéaste » au film à sketch, à la tentative foireuse mais courageuse d’installation d’une certaine distance quant à l’apparent sérieux des propos de ses personnages (clonage, devenir de l’humanité…). L’errance terminale du « héros », ersatz d’un Benoît Magimel mal rincé après toilettage, a pour elle de faire découvrir un paysage suspendu entre deux âges : entre fin et début du monde, post-apocalypse (l’espèce humaine n’est plus) et renaissance après chaos.

Un film pareil ne se « critique » pas. Non parce qu’il lui manquerait une moindre teneur esthétique (reconnaissons à Houellebecq une belle sobriété, une prudence proche de l’humilité dans la transposition sur grand écran de ses figures littéraires), une identité filmique susceptible d’éveiller désir de décryptage. Mais parce que se fait tellement jour, de bout en bout, son origine profonde, que ne cessent d’échapper, au fil de sa vision, ses clés d’interprétation durable, ses axes de discernement plausible. Adapté d’un dense roman sorti à la rentrée 2005, dont la principale force et la saveur tenaient essentiellement dans l’alternance, d’un chapitre à l’autre, du récit de vie d’un grand cynique de notre temps (Daniel 1), avec sexe, déchéance et critique virulente du XXIème siècle (jeunesse, religion, cinéma, presse, télévision…), et du regard clinique sur cette vie d’un clone des temps futurs (Daniel 24, puis 25), La Possibilité d’une île, le film, trouble d’abord par ses carences. De la personnalité de Daniel 1, sa vie hors secte des Helohim, ne reste pour ainsi dire… rien. Benoît Magimel, classe comme souvent, traîne sa silhouette de trentenaire solide entre sites touristiques anonymes et couloirs neutres d’un vague local désaffecté. A la cruauté du regard sur les théories branlantes du prophète (« incarné » par Patrick Bauchau), succède l’exposition plate de propos privés de tout relief.

A vrai dire, le film, bien que n’ayant aucune véritable raison d’être sans la relève des lointaines résonances entre écrit et écran, la tentative, mi-lasse mi-enjouée, de reconnaissance de motifs familiers sur la surface lisse de l’image, surprend par sa paradoxale autonomie. Pas si indispensable, peut-être, d’avoir lu le livre, pour évaluer le film. Le lecteur houellebecquien gagnerait même à mettre très vite de côté toute exigence quant à une possible égalité entre ces deux œuvres assez distinctes. Vaincu par K.O., le présent objet audiovisuel n’est au final supportable qu’à la condition de l’acceptation de cet axiome : le passage d’un médium à l’autre, d’un langage à l’autre, correspond souvent à la redécouverte d’une innocence, une fragilité sans doute trop tôt perdues.

Titre original : La Possibilité d'une île

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